| Anasténaria
Par Charles Camberoque
La fête des Anasténaria a lieu chaque année pour célébrer Sainte Hélène et Saint Constantin par un rituel puissant et immuable.
Un des premiers éléments très fort de ce rendez-vous, qui ramène dans ce petit village de la Grèce du Nord tous ses enfants aujourd'hui dispersés, est le rassemblement annuel lui-même. Dans ce coin de métissage Balkanique, on comprendra aisément combien sont importantes les retrouvailles, symbole de paix, et la rencontre de la communauté, des parents, des amis qui viennent pour cette occasion parfois de bien loin, d'Europe ou d'outre-mer.
Quoi de plus fabuleux que de participer en Grèce et à la fin du vingtième siècle à une tradition intacte, venue du fond de notre histoire. Quoi de plus remarquable que cette communion partagée entre des participants de tous âges, pendant trois journées remplies d'actions et de gestes allégoriques. Car les Anasténaria ne sont pas uniquement cette danse sur les braises qui attire les foules, venant là comme au cirque, mais une longue célébration profonde, grave, dont tous les actes comptent par leur grande signification symbolique.
Parmi les nombreuses explications sur les origines des Anasténaria, une thèse soutient que cette pratique aurait été transmise par des Manichéens en provenance de Syrie. Ils croyaient en deux principes divins, le bon et le mauvais, et s'élevant contre l'église, ils étaient considérés comme hérétiques. Obligés de s'engager dans l'armée de Byzance, ils furent envoyés comme acrites pour défendre la Thrace Orientale contre les Bulgares.
Quelques siècles plus tard, en Occident et plus précisément dans le sud de la France, se propage l'hérésie Cathare dont l'étude détermine l'origine en Bulgarie.
De retour d'Orient, Marco Polo témoigne de sa rencontre avec une communauté de chinois catholiques, mais qui s'avèrent hérétiques car croyant en deux principes, l'un du Bien et l'autre du Mal. Dans mon pays, en Languedoc, les Cathares au XllI° Siècle ont tous été exterminés. Ils meurent dans le feu des bûchers...
Au travers du temps et de l'histoire, je suis fasciné par ces rencontres étranges. Et je ne peux m'empêcher d'établir dans mon imagination des correspondances mi-historiques, mi-poétiques entre tous ces peuples qui m'attirent et que je photographie depuis des années. C'est dans cet état d'esprit que je suis arrivé un matin de Mai à Agia Héléni...
Photographier les rites sociaux en imprégnant la pellicule de toutes nos vies si précieuses, si fugaces, me semble nécessaire. Prélever une trace de ces moments intenses pendant lesquels une communauté se retrouve et affirme son identité me passionne car cela exige, entre autres, un engagement total et un rapport direct avec l'événement.
Mais s'il y a photographies, elles ont un auteur dont on oublie souvent que la présence est absolument liée par ses images, à l'action photographiée. Cette condition sine qua non du photographe par rapport à son sujet, alliée à ce jeu avec l'instant, ne cesse de me fasciner : je l'ai vécue, " ça a été, es war ". C'est ainsi que dans le livre qui va avec l'exposition, j'ai tenté de faire cohabiter l'image et le texte de façon à ce qu'ils se complètent et se renvoient l'un à l'autre. Bien sûr, mes yeux, vos yeux, ne voient que ce que j'ai choisi de regarder et, maintenant, de vous montrer. Je ne prétends pas à l'objectivité, ni à la rigueur scientifique, tout le monde sait que la photo n'est qu'une illusion de la réalité.
Je laisserai aux nombreux spécialistes qui étudient cette fête le soin d'analyser et de décrypter les faits, me contentant d'apporter mon point de vue d'homme et de photographe en disant : J'y étais et je l'ai perçue comme cela en Mai 1993 et en Mai 1994.
Charles Camberoque.
Octobre 1996
Texte de présentation de l'exposition présentée dans le cadre des Rencontres Méditerranéennes, à Agde, en 1997.
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