La Chine de Charles Camberoque

Par Jean Arrouye

Avec Charles Camberoque la Chine cesse d'appartenir à l'extrême orient pour nous devenir proche. Car, si l'on trouve bien dans certaines de ses photographies les indices attendus de l'exotisme, dragon et cerf-volant, pagodes aux toits retournés et paysans aux chapeaux coniques, statue de Mao et effigie de Staline, ces images sont en nombre restreint et ces aspects n'y sont jamais l'essentiel. Ce qui compte aux yeux du photographe, c'est la rencontre des individus observés dans leurs travaux et leurs loisirs, découverts dans leurs occupations ordinaires et leurs distractions habituelles, compris dans leur familiarité et leur humanité. Démarche qui repose sur la sympathie, qui suppose que le photographe sache se faire accepter et oublier, pour saisir et transmettre ces images dont la qualité première est la justesse. Cette justesse est d'abord l'observation : elle montre alors la grâce suspendue des gestes du marionnettiste et la placide concentration des lecteurs dans la rue, la grave application du peintre d'estampes et la quiète conversation de trois amis dans une boutique et tant d'autres scènes impromptues de la vie chinoise.. Ailleurs, c'est la justesse du regard photographique qui frappe : l'enfant qui court dans un paysage horizontal, le ballet des ombres au passage à niveau, l'envol des cyclistes dans la lumière, images si bellement simples qu'elles en paraissent familières, au point qu'on les imagine prises aussi bien dans la garrigue, à Castelnau-le-Lez ou sur les Lices d'Arles. Parfois la justesse est dans l'accord si parfait de la situation humaine et de la situation photographique que l'image, non seulement se délocalise ainsi, mais s'élève également à l'intemporel : ainsi ce vieil homme émacié souriant au milieu du parterre de ses plateaux de vannerie, ou cette femme perdue dans la solitude d'une grande salle vide et sombre, images tendres et pathétiques à la fois, portraits spirituels et moraux qui parlent de l'humaine condition dans ce qu'elle a de plus universel, mais aussi photographies exactement composées, poèmes de lumière et d'ombre, orchestration subtile des formes et des valeurs; ainsi encore ce groupe de cuisiniers, totalement absorbés par leur tâche, nimbés de la vapeur qui monte des marmites et tire l’œil vers l'admirable modelé des gris sur le mur du fond, véritable paysage abstrait, surface de photographie pure, répondant à ce pur suspens photographique qu'est l'attitude de l'homme inexplicablement debout sur les fourneaux. Cependant ces photographies, aussi accomplies soient-elles, ne se détachent jamais de l'ensemble auquel elles participent. Charles Camberoque conçoit le reportage comme un tout, comme une phrase, dit-il, où chaque mot (c'est à dire chaque photographie) ne prend sens que dans son rapport syntaxique à l'ensemble. Certes la phrase, en ses diverses propositions, peut être plus ou moins chargée de sens ou travaillé dans la forme, se vouloir tantôt descriptive, tantôt poétique, mais elle expose toujours cette vision chaleureuse et optimiste des hommes que le photographe sait si bien faire partager. Jamais le terme de médium n'a mieux été justifié que par la photographie de Charles Camberoque, dont la vertu fondamentale est l'entregent. Ses photographies sont images de rencontre, rencontre de la "vie vivante", comme on dit en Languedoc. Et de fait la vie est là, simple et tranquille ; cette paisible rumeur-là vient de Chine. Jean Arrouye Texte de présentation de l’exposition « Chine » de Charles Camberoque, à la Galerie Aréna de L’Ecole Nationale de la Photographie d’Arles, en 1985