Charles Camberoque, photographe Méditerranéen

Par Jean Arrouye

Charles Camberoque n'a pas photographié seulement la vie des riverains de la Méditerranée, loin de là. Expression que l'on peut d'ailleurs prendre au pied de la lettre puisqu'il est allé faire moisson d'images notamment en Chine et dans l'île de La Réunion. Cependant dans ces pays lointains comme dans le proche terroir de Montpellier qu'il a souvent photographié parce qu'il habite cette ville, ce qui a toujours retenu son attention est la vie des hommes, la vido vidanto, comme on dit en provençal, c'est-à-dire aussi bien leur vie quotidienne dans ses manifestations ordinaires, travail, habitat, vie de famille, insertion dans un milieu humain et géographique que leurs activités exceptionnelles, participation aux événements festifs qui marquent le cours de l'année, pratique de jeux, engagement dans l'organisation de cérémonies qui perpétuent rites et traditions constitutifs de la culture locale. Ce faisant Charles Camberoque ne se contente pas de saisir l'apparence des choses et des comportements. Les photographies qu'il prend lorsqu'il s'intéresse à un groupe humain ou à une activité sociale constituent un tout qui se veut explicatif et non pas seulement constatif. Ce qui intéresse ce photographe est moins l'apparence des choses que les raisons qui font que les choses sont telles qu'elles paraissent. Il cherche à comprendre comment et pour quoi vivent les gens et à le faire comprendre à d'autres par ses photographies. Aucune photographie ne vaut donc pour elle-même mais pour la façon dont elle contribue à la compréhension du sujet étudié. Cela exclut le pittoresque et le spectaculaire et les "belles" images qui accrochent le regard, au profit de photographies "fortes" dont l'organisation visuelle est justifiée par le souci de mettre en évidence un fait signifiant ou un caractère symptomatique. Cette soumission de l'apparence à la signifiance ne se fait cependant pas au détriment du plaisir esthétique du spectateur, ainsi qu'en témoignent des photographies comme celle des processionnaires du carnaval de Ladern cheminant sous une tempête de confettis, ou celle du bond prodigieux du lévrier des Baléares qui semble voler, ou encore les images ludiquement cruelles des victimes des Paillasses de Cournonterral. Dans ces images, si la forme est au service de l'information, celle-ci en retour confère à la forme une légitimité qui la valorise et rend la photographie difficilement oubliable. Parce qu'il rend compte ainsi simultanément de l'apparaître et de l'être des choses, Charles Camberoque est un photographe méditerranéen. En effet, depuis qu'Homère fit descendre Ulysse aux enfers, cette chambre noire démesurée, pour y retrouver ses anciens compagnons et y découvrir le sens de l'existence, l'aventure de l'art, dans la tradition méditerranéenne, a toujours été une aventure de la mémoire qui reconsidère le vécu pour lui donner sens, et l'image simultanément une représentation du sensible et la figuration d'un intelligible. Nul ne fait mieux la preuve de la force de l'art fondé sur cette double ambition que Charles Camberoque dans ses photographies. Jean Arrouye « Charles Camberoque : Tradition et rites méditerranéens » Publié par : La Fondation Regards de Provence – Reflets de Méditerranée - Marseille Février 2004