Chasses Méditerranéennes Les chiens de Camberoque

Par Jean Arrouye

Dans ses photographies animalières rapportées des îles Baléares Charles Camberoque court, si l'on ose dire, deux lièvres à la fois. D'une part il raconte une histoire de chasse à courre, de course aux lapins, avec des chiens superbes et valeureux, et décrit un rite social, divertissement préféré des insulaires qui ont, au fil des siècles, inventé cette race de chiens, instrument merveilleusement accordé à la satisfaction de leur plaisir. L'histoire est en cinq actes, comme il se doit pour toute aventure où la mort trouve place : le départ, le lâcher, la quête, la prise et le décompte des victimes avant le retour à la casa de départ. C'est une histoire d'hommes et de bêtes, de tendresse et de cruauté, la découverte éblouie de la beauté bondissante des lévriers mallorquins et de l'âpre harmonie du paysage méditerranéen. Charles Camberoque saisit avec sa sûreté habituelle l'allure spectaculaire de la course canine et les marques subtiles de la convivialité paysanne, la qualité de l'accord des hommes avec le pays qu'ils habitent, l'intensité de l'expérience vécue dont il est le témoin. Mais au sein même du récit de cette histoire, au moment de la quête du gibier et à l'occasion de sa prise, surviennent des images d'un autre ordre, celles des chiens tels qu'en eux-mêmes la chasse les révèle, dans leur quintessence de chiens de courre. Montrant les lévriers dans toute la vérité de leurs attitudes, ces images semblent de plus parvenir à donner forme sensible à ces notions abstraites que sont la légèreté ou l'énergie, à traduire visuellement ce qui n'est d'ordinaire qu'être de langage, l'élan, le bondissement, à figurer l'infigurable, la vélocité, la vitesse. Arrêtant l'événement au plus intense, au plus instable de son déroulement, la photographie devient alors l'art de faire coïncider exquisement l'accidentel et l'essentiel, la trace réelle du ça-a-été et l'image rêvée du cela-doit-être, la saisie de postures vraies et leur transfiguration poétique. Parce qu'il rend compte ainsi simultanément de l'apparaître et de l'être des choses, Charles Camberoque est un photographe méditerranéen. En effet, depuis qu'Homère fit descendre Ulysse aux enfers, cette chambre noire démesurée, pour y retrouver ses anciens compagnons et y découvrir le sens de l'existence, l'aventure de l'art, dans la tradition méditerranéenne, a toujours été indissociablement une aventure de la mémoire, représentation du sensible et du sens, figuration d'un intelligible. Nul ne fait mieux la preuve de la force de l'art fondé sur cette double postulation que Charles Camberoque avec ses Chiens mallorquins. Jean Arrouye. Catalogue de l’exposition présentée à la Primavera Fotografica de Barcelone, 1992.