Anasténaria
Par Charles Camberoque
La fête des Anasténaria a lieu chaque année pour célébrer Sainte Hélène et Saint Constantin par un rituel puissant et immuable. Un des premiers éléments très fort de ce rendez-vous, qui ramène dans ce petit village de la Grèce du Nord tous ses enfants aujourd'hui dispersés, est le rassemblement annuel lui-même. Dans ce coin de métissage Balkanique, on comprendra aisément combien sont importantes les retrouvailles, symbole de paix, et la rencontre de la communauté, des parents, des amis qui viennent pour cette occasion parfois de bien loin, d'Europe ou d'outre-mer. Quoi de plus fabuleux que de participer en Grèce et à la fin du vingtième siècle à une tradition intacte, venue du fond de notre histoire. Quoi de plus remarquable que cette communion partagée entre des participants de tous âges, pendant trois journées remplies d'actions et de gestes allégoriques. Car les Anasténaria ne sont pas uniquement cette danse sur les braises qui attire les foules, venant là comme au cirque, mais une longue célébration profonde, grave, dont tous les actes comptent par leur grande signification symbolique. Parmi les nombreuses explications sur les origines des Anasténaria, une thèse soutient que cette pratique aurait été transmise par des Manichéens en provenance de Syrie. Ils croyaient en deux principes divins, le bon et le mauvais, et s'élevant contre l'église, ils étaient considérés comme hérétiques. Obligés de s'engager dans l'armée de Byzance, ils furent envoyés comme acrites pour défendre la Thrace Orientale contre les Bulgares. Quelques siècles plus tard, en Occident et plus précisément dans le sud de la France, se propage l'hérésie Cathare dont l'étude détermine l'origine en Bulgarie. De retour d'Orient, Marco Polo témoigne de sa rencontre avec une communauté de chinois catholiques, mais qui s'avèrent hérétiques car croyant en deux principes, l'un du Bien et l'autre du Mal. Dans mon pays, en Languedoc, les Cathares au XllI° Siècle ont tous été exterminés. Ils meurent dans le feu des bûchers... Au travers du temps et de l'histoire, je suis fasciné par ces rencontres étranges. Et je ne peux m'empêcher d'établir dans mon imagination des correspondances mi-historiques, mi-poétiques entre tous ces peuples qui m'attirent et que je photographie depuis des années. C'est dans cet état d'esprit que je suis arrivé un matin de Mai à Agia Héléni... Photographier les rites sociaux en imprégnant la pellicule de toutes nos vies si précieuses, si fugaces, me semble nécessaire. Prélever une trace de ces moments intenses pendant lesquels une communauté se retrouve et affirme son identité me passionne car cela exige, entre autres, un engagement total et un rapport direct avec l'événement. Mais s'il y a photographies, elles ont un auteur dont on oublie souvent que la présence est absolument liée par ses images, à l'action photographiée. Cette condition sine qua non du photographe par rapport à son sujet, alliée à ce jeu avec l'instant, ne cesse de me fasciner : je l'ai vécue, " ça a été, es war ". C'est ainsi que dans le livre qui va avec l'exposition, j'ai tenté de faire cohabiter l'image et le texte de façon à ce qu'ils se complètent et se renvoient l'un à l'autre. Bien sûr, mes yeux, vos yeux, ne voient que ce que j'ai choisi de regarder et, maintenant, de vous montrer. Je ne prétends pas à l'objectivité, ni à la rigueur scientifique, tout le monde sait que la photo n'est qu'une illusion de la réalité. Je laisserai aux nombreux spécialistes qui étudient cette fête le soin d'analyser et de décrypter les faits, me contentant d'apporter mon point de vue d'homme et de photographe en disant : J'y étais et je l'ai perçue comme cela en Mai 1993 et en Mai 1994. Charles Camberoque. Octobre 1996 Texte de présentation de l'exposition présentée dans le cadre des Rencontres Méditerranéennes, à Agde, en 1997.
0010 : La procession à Agia Eleni Grèce 1993 0020 : Dans le Konaki Grèce 1993 0030 : Les Musiciens Grèce 1994 0040 : Danse dans le Konaki Grèce 1993 0050 : Danse dans le Konaki Grèce 1994 0051 : Danse dans le Konaki Grèce 1994 0060 : Baiser à l'icône Grèce 1993 0070 : Danse avant les sacrifices Grèce 1994 0080 : Le sacrifice Grèce 1993 0090 : Sortie du Konaki Grèce 1993 0100 : Les braises Grèce 1994 0110 : La ronde autour des braises Grèce 1994 0111 : Procession vers le feu Grèce 1994 0120 : Procession vers le feu Grèce 1994 0130 : Autour des braises Grèce 1993 0140 : Marche et danse sur le feu Grèce 1993 0150 : Marche sur les braises Grèce 1993 0160 : Marche et danse sur le feu Grèce 1993 0170 : Marche sur le feu Grèce 1993 0180 : Retour au Konaki Grèce 1994 0190 : Avant le repas Grèce 1993MARCHE SUR LE FEU A AGHIA ELENI
Par Jean Arrouye
Les Anastenaria, cérémonie religieuse venue du fond des âges, est l'occasion pour une communauté, habitants restés au village et exilés revenus pour la circonstance, de se retrouver et d'affirmer son identité. L'événement dure trois jours.
Chaque matin l'on part en procession, sur la musique d'une lyre thrace et d'une grosse caisse, chercher dans chaque maison les icônes protectrices du foyer pour les déposer dans une maison commune, le konaki, où elles resteront toute la journée, rassemblées autour d'une sorte d'autel environné de cierges, avant d'être ramenées vers minuit, toujours en procession, dans chaque famille. Dans le konaki on révère les icônes, on danse, lentement et gravement, sur une musique rituelle, on se recueille, on converse.
Le premier jour les icônes sont amenées à la source sacrée, lieu originel de tout le rite, près de laquelle le konaki est bâti. Elles y sont bénies, ainsi que les quatre directions de l'espace sur lequel vit la communauté. Près de la source de vie pousse un noyer, arbre de la mort, au pied duquel seront sacrifiés un mouton, noir et d'âge impair, et des agneaux,
Le deuxième et le troisième jour, à la tombée de la nuit, a lieu, toujours au rythme d'une musique lancinante, la marche sur le feu, ou plutôt la traversée de l'espace couvert des braises d'un grand bûcher qui vient d'être brûlé. Les marcheurs parcourent l'étendue incandescente en tenant une icône (ou seulement sa housse) dont les pouvoirs de protection seront renouvelés pour avoir traversé cet espace de purification.
Le dernier soir la chair des victimes est mangée au cours d'un repas qui réunit tous les participants. Alors on fait en commun le compte des offrandes en argent reçues pendant ces trois jours et on décide de son affectation.
Tous les moments de ce rituel, Charles Camberoque les a enregistrés avec une attention scrupuleuse. Il lui a fallu d'abord se faire accepter par la communauté de sorte qu'on admette sa présence constante et qu'il puisse photographier les moments les plus intimes et intenses du cérémonial. Ce n'est qu'à cette condition que son témoignage a pu être fidèle à l'esprit et à la forme des comportements observés. Il donne à percevoir la dignité, la gravité et la piété des participants ainsi que la cohésion du groupe social et sa solidarité dans la croyance à l'efficacité du rituel. Pour saisir et restituer ainsi l'événement il fallait décider avec discernement de ce qui devait être montré. Aucun sourire dans ces images qui témoignent du sérieux d'une croyance et de son intériorisation. Seule la photographie en noir et blanc pouvait suggérer la nature de la transaction qui s'effectue au cours de ces trois jours entre les puissances obscures de la mort et la force regénératrice de la vie, dont les moments les plus révélateurs sont l'ordalie de la marche sur le feu et l'agape finale qui donne son plein sens au sacrifice du mouton noir.
Jean Arrouye
« Charles Camberoque : Tradition et rites méditerranéens »
Publié par :
La Fondation Regards de Provence
Reflets de Méditerranée - Marseille Février 2004
Anasténarias
Photographies publiées dans : Anastenaria Editions Institut Français de Thessalonique Charles Camberoque : traditions et rites méditerranéens Editions Fondation Regard de Provence - Reflets de Méditerranée
CHARLES CAMBEROQUE … EN BREF …La Chine de Charles Camberoque
Par Jean Arrouye
Avec Charles Camberoque la Chine cesse d'appartenir à l'extrême orient pour nous devenir proche. Car, si l'on trouve bien dans certaines de ses photographies les indices attendus de l'exotisme, dragon et cerf-volant, pagodes aux toits retournés et paysans aux chapeaux coniques, statue de Mao et effigie de Staline, ces images sont en nombre restreint et ces aspects n'y sont jamais l'essentiel. Ce qui compte aux yeux du photographe, c'est la rencontre des individus observés dans leurs travaux et leurs loisirs, découverts dans leurs occupations ordinaires et leurs distractions habituelles, compris dans leur familiarité et leur humanité. Démarche qui repose sur la sympathie, qui suppose que le photographe sache se faire accepter et oublier, pour saisir et transmettre ces images dont la qualité première est la justesse. Cette justesse est d'abord l'observation : elle montre alors la grâce suspendue des gestes du marionnettiste et la placide concentration des lecteurs dans la rue, la grave application du peintre d'estampes et la quiète conversation de trois amis dans une boutique et tant d'autres scènes impromptues de la vie chinoise.. Ailleurs, c'est la justesse du regard photographique qui frappe : l'enfant qui court dans un paysage horizontal, le ballet des ombres au passage à niveau, l'envol des cyclistes dans la lumière, images si bellement simples qu'elles en paraissent familières, au point qu'on les imagine prises aussi bien dans la garrigue, à Castelnau-le-Lez ou sur les Lices d'Arles. Parfois la justesse est dans l'accord si parfait de la situation humaine et de la situation photographique que l'image, non seulement se délocalise ainsi, mais s'élève également à l'intemporel : ainsi ce vieil homme émacié souriant au milieu du parterre de ses plateaux de vannerie, ou cette femme perdue dans la solitude d'une grande salle vide et sombre, images tendres et pathétiques à la fois, portraits spirituels et moraux qui parlent de l'humaine condition dans ce qu'elle a de plus universel, mais aussi photographies exactement composées, poèmes de lumière et d'ombre, orchestration subtile des formes et des valeurs; ainsi encore ce groupe de cuisiniers, totalement absorbés par leur tâche, nimbés de la vapeur qui monte des marmites et tire l’œil vers l'admirable modelé des gris sur le mur du fond, véritable paysage abstrait, surface de photographie pure, répondant à ce pur suspens photographique qu'est l'attitude de l'homme inexplicablement debout sur les fourneaux. Cependant ces photographies, aussi accomplies soient-elles, ne se détachent jamais de l'ensemble auquel elles participent. Charles Camberoque conçoit le reportage comme un tout, comme une phrase, dit-il, où chaque mot (c'est à dire chaque photographie) ne prend sens que dans son rapport syntaxique à l'ensemble. Certes la phrase, en ses diverses propositions, peut être plus ou moins chargée de sens ou travaillé dans la forme, se vouloir tantôt descriptive, tantôt poétique, mais elle expose toujours cette vision chaleureuse et optimiste des hommes que le photographe sait si bien faire partager. Jamais le terme de médium n'a mieux été justifié que par la photographie de Charles Camberoque, dont la vertu fondamentale est l'entregent. Ses photographies sont images de rencontre, rencontre de la "vie vivante", comme on dit en Languedoc. Et de fait la vie est là, simple et tranquille ; cette paisible rumeur-là vient de Chine. Jean Arrouye Texte de présentation de l’exposition « Chine » de Charles Camberoque, à la Galerie Aréna de L’Ecole Nationale de la Photographie d’Arles, en 1985
0010 : Beijing 1981 0020 : Xian 1981 0030 : Chengdu 1984 0040 : Théière de Mao Yan’an, Nord Shaanxi 1981 0050 : Cuisine du Shandong 1981 0060 : Montagnes du Yunnan 1993 0070 : Obsèques Yunnan 1993 0080 : Beijing 1984 0090 : Shaanxi 1981 0100 : Yunnan 1993 0110 : Shaanxi 1981 0120 : Yunnan 1993 0130 : Shandong 1981 0140 : Fujian 1984 0150 : Jiaonin 1993 0160 : Nord Shaanxi 1981 0170 : Shandong 1981 0180 : Beijing 1993 0190 : Chengdu 1984 0200 : Chengdu 1993 0210 : Marx et les casseroles 1981 0220 : Chengdu 1993 0230 : Chengdu 1993
Chine
Photographies publiées dans : Charles Camberoque Photographies 1975-1993 Editions Les Cahiers de la Photographie
La trame du réel
Par Jean-Louis Poitevin
Qu'est l'homme dans la ville? Qui est-il dans ce dédale dont il est l'auteur et qui aujourd'hui le dévore? Charles Camberoque ne traque pas la vérité de la ville ou de l'homme, il cherche à révéler cet écheveau de rigueur, de passion et d'absence qui fait la trame du réel. Ce n'est pas dans le regard des hommes qu'il la découvre, ni dans la présence de la pierre, mais dans ce jeu constant qui sépare et relie indéfiniment les rigueurs d'une axiomatique aux élans tortueux du vivant. Pourtant le monde, pour Charles Camberoque, ne naît pas de conflits, mais bien plutôt du singulier étirement de lignes, concrètes ou abstraites, le long desquelles comme des somnambules, défilent les choses et les êtres. Il y a d'abord les choses s'affichant, comme on signe un bon de présence, pour l'éternité de l'instant qui reste le temps de leur durée propre, comme les oranges entassées sur l'étal du marchand ou la motocyclette qui trône, devant l'horizon du néant, modeste trophée d'une guerre qui n'a pas eu lieu. Et pourtant elles sont là, ces choses, comme si elles devaient y rester toujours, Etrange affirmation, singulière prétention qu'elles ne peuvent retenir, qu'elles doivent accentuer même, si elles veulent tirer leur épingle du jeu où la farouche volonté des hommes les a fait paraître. Ce jeu? Une lutte pour la domination du visible, pour la maîtrise des apparences. Charles Camberoque ne s'y laisse pas prendre, et s'il ne méprise pas les choses, il ne veut pas non plus leur donner un rôle qu'elles ne méritent pas, même si, pour les amadouer, souvent il leur laisse le premier plan. C'est aussi que l'immobilité n'est qu'un des modes possibles de l'existence et pas nécessairement le plus riche. Face à ce monde empli de la vanité de l'immobilité, ou plutôt cohabitant avec lui, celui des hommes, des arbres, de la vie, celui de ces êtres qui ne peuvent pas s'empêcher de revendiquer un ailleurs comme on crie à la face indifférente du monde son bonheur ou son malheur. Et les hommes s'avancent, dans les photographies de Charles Camberoque, comme des grappes ou comme des ombres, toujours comme des êtres emportés par un désir farouche d'échapper, à leur destin sans doute. Les arbres, eux semblent devoir éternellement se tordre pour raconter le mystère de leur condition, et ainsi contredire, là dans la ville, l'orthogonalité agressive des immeubles, des pylônes, des rues et des trottoirs, des lignes de chemins de fer. des antennes et des fils de toutes sortes. Pourtant, toujours pas de combat mais cette impression irrésistible que tous les êtres qui habitent la ville se croisent sans jamais se rencontrer. Chacun, pour persévérer dans son être, s'est choisi une ligne, matérielle ou abstraite, sur laquelle il se tient ou glisse comme autrefois dans les foires, les personnages sur les stands de tir. C'est cela la trame du réel, cette manière qu'a l'espace de se multiplier en se divisant à l'infini à partir des deux faisceaux de lignes, horizontales et verticales, au gré desquelles la ville moderne a été construite. Et ces lignes n'existent que pour permettre à chacun de s'avancer vers son destin. Ainsi, pas de perspective, mais bien une trame, la trame du réel, la trame de la ville. Le long de l'eau, Thessalonique étire ses rues, double matériel de l'inaccessible horizon qui cueille le regard au-delà des bateaux. Grimpant sur ses collines, la ville s'accroche aux verticales des poteaux, des pylônes et des antennes, marin ivre épousant une rambarde pour rejoindre son navire. N'est-ce pas aussi pour permettre aux prières de mieux joindre le ciel? Car c'est cela une ville, un écheveau agressif de lignes enlacé à la liberté infinie de suivre son chemin sans devenir obstacle sur le chemin d'autrui. A travers les images de Charles Camberoque, quand le réel surgit c'est la puissance du rêve qui se manifeste, car il faut de l'espace pour que vive le rêve, comme il faut aux hommes toute la puissance du rêve pour qu'au-delà du piège que sont devenues pour eux les villes, ils continuent de tendre les bras vers le mystère. Jean-Louis Poitevin Catalogue de l’exposition de Charles Camberoque : « Vues de Thessalonique » présentée au Centre Culturel Aigli-Yeni Hammam à Thessalonique par l’Institut Français. Grèce 1994.
Ethnologie et... Photographie : « La Fête en Languedoc », un récit de Charles Camberoque
Par Jean Dieuzaide
C’est un jeune photographe, originaire de l'Aude, une région qu'il connaît bien. Il se passionne pour « son » sujet. Avec lui, le Château d'Eau poursuit et précise sa route : montrer la force de l'écriture par l'image ; c'est le phénomène le plus remarquable de notre temps mais, ceux-là même dont c'est le métier hésitent encore à le reconnaître. Ces images étonnantes, découvertes je dirais presque par hasard, parce que mal traitées entre les pages du livre édité récemment, nous ont incité à les montrer et à leur donner ainsi leur force véritable. Il s'est accompli fort heureusement, et dans l'intérêt de tous, un progrès considérable ces cinq dernières années en faveur de la photographie, mais on déplore trop souvent encore cette méfiance maladive, pour ne pas dire pusillanime, à l'égard de ce langage répondant aux besoins de notre temps. On ne peut plus hésiter à reconnaître que le langage photographique met en péril le langage scolaire ; c'est prouvé : « A quoi bon écrire, disait déjà Paul Valéry, ce qui peut de soi-même s'inscrire ». Ce langage réussit là où l'Université échoue : « II n'a pas besoin d'un Descartes, d'un Freud ou d'un Marx ou de toute autre tête d'idéologue ou d'intellectuel pour tenter d'expliquer ce qu'un brin de paille est capable d'enseigner à un berger ». Le langage photographique est direct; il transcrit depuis le premier jour avec évidence et sans fard la réalité quotidienne, il la dénonce si besoin est : pour cette raison il inquiète tous ceux qui hésitent à se reconnaître dans le « miroir », tous ceux qui ne savent pas voir et ne veulent pas le reconnaître, tous ceux qui ne veulent pas voir par manque d'humilité ; or, voir, au sens propre et figuré, est le meilleur enseignement : avec le temps on en conviendra définitivement tôt ou tard. Charles Camberoque les y invite et nous y invite en rassemblant pour nous ce thème mal connu, curieux et révélateur : « La fête en Languedoc » ; il l'a amplement et minutieusement décrit ; ce rapport photographique fournit aux historiens d'aujourd'hui un abondant matériel. C'est un travail d'ethnologue. Croisant son regard avec celui de Daniel Fabre qui a écrit le texte de son livre, Charles Camberoque nous fait découvrir ces fêtes traditionnelles de « Carnaval », dénaturées sans doute par la force des choses, mais qui vivent encore. Tenues pour le legs d'une culture de chez nous, elles restent le lieu le plus propice, même dans le moindre village, à exprimer des exigences bien au-delà du folklore, lui-même issu d'événements passés, politiques, militaires ou religieux. « Ces liturgies populaires, admirablement prises sur le vif par Camberoque, n'en finissent pas de nous enchanter et de nous troubler » écrit Pierre Cabanne dans « Le Matin de Paris ». Personne en photographie n'avait encore regardé avec autant d'acuité cette aimable folie des jours de liesse de notre Midi remuant : Camberoque le fait avec un œil tendre, bien sûr, et amusé évidemment, mais il n'en est pas moins pour autant critique et lucide ; devant les gestes qui se libèrent tout au long de la fête jusqu'à ses derniers feux, il attire notre attention : c'est la Fête avant la Fête et après la Fête. Du fond de l'être remontent les traditions et aux jeux de l'arène se substituent aujourd'hui aussi bien notre sport national, le rugby, que les joutes politiques où se retrouvent pêle-mêle notre bonhomie, nos utopies, notre faconde méridionale et nos mélancolies. Camberoque s'attache aussi au regard de ceux qui ne jouent aucun rôle actif dans le cérémonial ; ils rient mais ils s'effrayent. Les gens d'Oc ont apparemment la joie du soleil tannée sur leur visage, mais sont tristes au fond d'eux-mêmes ; sous le masque, le « vague à l'âme » du clown s'empare du moindre visage que fréquente Carnaval. La célébration ne trompe personne et surtout pas Camberoque ; les personnages, déguisés sous des atours auto-portraits pour paraître différents, ne s'y trompent pas eux-mêmes. Si l'on feint de s'y tromper, c'est bien ainsi : c'est tout de même la fête, la fête fondamentale avec tout son cortège de réalités, de défoulements, et de contradictions. « J'ai essayé de traduire ces situations, mais aussi et surtout ces ambiances, ces moments psychologiques au milieu desquels des gens masqués deviennent les acteurs de leurs propres fantasmes. Ainsi ai-je photographié, nous dit Camberoque que, des hommes qui se trouvent parfois dans des situations à mi-chemin entre leur personnage du quotidien et celui qu'ils aiment incarner pour les cérémonies. Cette Fête qui se sait libératrice nous fait comprendre l'étrange et mystérieuse ressemblance entre les masques et les visages qu'ils cachent aussi bien que ceux des spectateurs passifs participant seulement du regard : cette fête est un tout ». En faisant œuvre d'ethnologue, Charles Camberoque a ouvert un chemin vers de nouvelles réflexions, d'autres ou lui-même iront sans doute plus loin dans cette recherche ; pour l'instant, seul est à ajouter à ses images le nom des lieux et encore ! Jean Dieuzaide Catalogue de l’exposition de Charles Camberoque à La Galerie du Château d’Eau de Toulouse en 1980
L'écriture lumineuse
Par Charles Camberoque
Texte traduit et publié en Espagne en 2003 par HUESCA IMAGEN dans l’ouvrage intitulé : Para qué fotografiar, sous la direction d’Antonio Anson pour l’Université Internationale Menéndez Pelayo. Para que fotografiar ? Comment photographier ? Pourquoi encore photographier ? Dans quel but photographier ? Avec quoi photographier ? Ces questions tombent bien, car le quinquagénaire-photographe que je suis devenu et qui a commencé très jeune à se passionner pour la photographie, se les pose de façon cyclique et récurrente ! Face à l'abondance technologique, devant les enjeux médiatiques et économiques, est-il toujours aussi important de photographier ? Mon expérience professionnelle m’a amené à travailler dans le monde de l’image depuis plus de trente-cinq ans. J’ai abordé la photographie en 1968, en tant que professionnel, et j'ai suivi avec beaucoup d’intérêt son évolution ainsi que celle de la vidéo. Et, à un âge où certains peuvent être blasés, j’ai eu la chance de vivre cette « révolution numérique » qui m’a ouvert à l’espace informatique, devenu à mon avis totalement incontournable même pour les photographes. Depuis presque une décennie, je me suis retrouvé avec délices comme un jeune débutant avec des outils inconnus et des possibilités nouvelles qui m’ont stimulé voire réveillé. J’ai connu des moments d’intense jubilation mais aussi de découragement, de rage et de désespoir épouvantables par lesquels passe tout pratiquant de l’informatique. En tant que photographe, j’ai eu la sensation, grâce aux possibilités du numérique et surtout du logiciel Photoshop de gagner une forme de liberté dans la composition et la réalisation des photographies me retrouvant finalement plus libre dans ma création, un peu comme doit l’être un peintre ou un écrivain, moins dépendant du sujet. Le photographe « traditionnel » m’apparaissant dès lors, comme otage et prisonnier du réel. Par ailleurs, en tant que cameraman, puis en tant que réalisateur j’ai pratiqué aussi la vidéo passant avec un grand bonheur du montage analogique au numérique. Tout cela pour vous dire combien, au final, je m'amuse bien. Combien j’apprécie les bienfaits de toute cette évolution dont je profite pleinement sans sectarisme, me semble-t-il, et à la grande surprise de beaucoup qui, ne retenant de mon travail de photographe que le premier degré de l’aspect documentaire ne comprennent pas qu'actuellement, je puisse allègrement et avec autant de plaisir, intervenir avec Photoshop dans mes images. Ils n’ont sûrement pas bien compris, que ce qui compte pour moi, c’est plus ce qu’évoquent les photos que ce qu’elles représentent, mais cela est une autre histoire... Il faut bien admettre qu’avec l’arrivée du numérique tout le monde est plus ou moins photographe, tout le monde peut faire des photos, mais cependant tout le monde n’a pas forcément un projet photographique cohérent, quelque chose à dire, à exprimer par l’écriture photographique. Car, pour moi, un des intérêts de la photographie et de ses enseignements est qu’ils permettent d’affirmer constamment la présence d’une technique, oui, mais une technique au service d’une philosophie, d’une démarche intellectuelle, qui aide à interpréter et lire le monde en alliant l’action et la réflexion, le dire et le faire, la théorie et la pratique. Et ceci avec comme projet et espoir, de contribuer à construire l’individu, d’apporter une petite pierre à la construction de notre si complexe société. J'admets que ce programme est à la fois ambitieux et quelque peu utopique, mais j’y ai cru, et je n'étais pas le seul à y croire. Beaucoup de photographes comme moi, "rangés" dans la case "photographie sociale" partagent ce point de vue, même si, il y a quelque temps, avec Sébastiao Salgado nous nous interrogions et doutions en nous demandant si nous ne nous étions pas égarés en basant toute notre vie et engagement photographiques autour de l’homme et des valeurs humanistes. Nous serions-nous trompés sur la nature humaine? Quelle naïveté que de vouloir faire évoluer le monde avec la photographie comme (seul) outil! De plus, le fait de douter avec quelqu’un comme Salgado, photographe largement reconnu et apprécie de par le monde, me laisse encore plus perplexe. Photographier pour ces raisons était-ce utile et nécessaire ? En avançant en age, j’ai de plus en plus la conviction que les images argentiques ou numériques ne sont pas dans la photographie ce qu’il y a de plus important. Certes, dans notre société de fric, elles ont une valeur marchande. Mais le plus subtil est qu'elles rentrent dans la mémoire des lecteurs-regardeurs. Alors, ces images dans nos têtes deviennent mentales et s’accumulent avec d’autres souvenirs créant parfois des assemblages, des modifications donnant naissance à d’autres images “fantasmées”, bien plus riches peut-être que celles accrochées aux murs des galeristes. Je photographie parfois en pensant à tous ces bienheureux voleurs de photos qui feuillettent “impunément” des albums dans les librairies et qui partent sans rien acheter mais avec leur mémoire pleine. C’est pour eux aussi qu’il faut photographier, sans oublier que ce sont ces images, ces souvenirs d’images qui sont les plus intéressants à susciter. Le temps, le mouvement ont été arrêtés sur la pellicule mais il continueront à évoluer dans la tête du regardeur. La photographie devenant l’interface entre le photographe et les mémoires. De l’argentique au numérique Je dois préciser pour que cela soit bien clair que si j'ai été perplexe devant les premiers appareils numériques, rapidement je me suis enthousiasmé pour les générations suivantes et actuellement je ne pourrais pas envisager de ne pas travailler en numérique. Ce qui ne veut pas dire que j'en suis un fanatique partisan non plus. Je ne veux pas, tout simplement, entrer dans les vaines polémiques entre les puristes fidèles de la Tri X d'un côté et les adeptes du numérique de l'autre. Nous avons, en tant que créateurs d'images, une nouvelle technologie à notre disposition, pourquoi ne pas l'utiliser ? Et prendre ce qu'elle a de bon et qui nous aidera à mieux nous exprimer tout en restant lucides sur ses possibilités. Les avantages du numérique sont évidents, énormes, irréversibles…Je n'en ferai pas la liste mais il faut souligner que pour une utilisation commerciale de la photo, le numérique permet essentiellement l’envoi des images dans plusieurs rédactions, imprimeries de journaux et magazines, presque à l’instant de la prise de vue, quel que soit, de par le monde, le lieu de la prise de vue. Efficacité économique, gain de temps, donc d’argent. Ça ,c’est bon pour le business ! Mais qu’en est-il de la création ? De gros inconvénients ! Les appareils numériques performants sont d’une lourdeur pénible et grands consommateurs d’énergie électrique donc de piles ou batteries qu’il faut transporter avec leurs chargeurs. Avoir avec soi un ordinateur semble également indispensable et augmente le coût, l'encombrement et le poids du matériel nécessaire et prend un temps supplémentaire considérable. À la prise de vue, (dans les premiers modèles d’appareils et les « bas de gamme »), on peut noter une certaine lenteur dans la réaction de l’obturateur qui ne se déclenche pas instantanément et qui est parfois très gênante suivant les modèles d’appareils numériques et le genre de photographie pratiquée (temps de réaction: 0,9 seconde et 0,4 pour les dernières générations d'appareils). Pour l'instantanéiste que je suis cela est extrêmement pénalisant. Il faut savoir aussi que le problème de la trop grande profondeur de champ implique une écriture photographique particulière. A cela s'ajoutent des problèmes également avec le contraste et la difficulté de traduire correctement les grands écarts entre les hautes lumières et les basses lumières. Sans oublier que toute surexposition se traduit par une absence totale de détail, donc par une tache blanche, qui, à la retouche, ne peut que devenir grise. La maturation argentique. Pourquoi photographier? Dans quel but ? Mais pour passer par ce lent processus d’invention, de fabrication des images, pour éprouver nos sens de photographe par cette longue maturation, ce travail de fond qui, avec le recul, efface de la mémoire du photographe les instants parasites d’avant et d’après le déclenchement de l’obturateur pour ne garder que l'essentiel. On dit que pour cela, Koudelka laissait ses négatifs vieillir pour mieux les revoir et les choisir sur les planches contact, longtemps après la prise de vue. Inquiétants enjeux économiques du numérique Mais à terme, que va devenir le procédé argentique ? Résistera t-il face à l'engouement généralisé pour le numérique ? Devant la désaffection du public pour l'argentique, n'y a-t-il pas un danger à voir disparaître notre vieille photographie et sa traditionnelle panoplie de films, papiers, produits désormais moins rentables pour les commerçants qui vivent de ces ventes, mais indispensables à tous les auteurs de photographies. On trouve déjà des imprimantes et tous leurs accessoires dans les boutiques de photo. Jusqu'à quand pourra t'on encore s'y procurer facilement du D76 du Record Rapid ou des TMax ? Les films super 8, avec l'arrivée de la vidéo, ne se vendaient plus et les seuls qu'on trouve encore ont quasiment doublé de prix. Donc, si les produits photo argentique ne se vendent plus aussi bien, leur production va inexorablement baisser et dans le meilleur des cas leur prix monter ! Avant d'être purement et simplement retirés du marché comme ce qui a failli se passer dans les années 70 avec la disparition programmée du papier baryté qui devait être remplacé par les papiers plastiques RC. A cette époque, Jean Dieuzaide avait mené une véritable campagne, un combat, pour le maintien de la commercialisation des papiers photo traditionnels. Aujourd'hui la situation me semble bien pire et Jean Dieuzaide n'est plus là! Si il y a trente ans la disparition menaçait un seul produit : le papier baryté, actuellement, c'est tout un procédé qui est en danger. Il va falloir être attentifs, même la photo s'inscrit dans la mondialisation et offre de grands enjeux économiques avec beaucoup d'argent à gagner dans ces évolutions technologiques. Par les temps qui courent les multinationales de la photographie ne nous feront pas de cadeaux. Soyons très très vigilants si nous ne voulons pas voir disparaître nos outils basiques de création photographique. Les bonheurs de l'argentique Pourquoi photographier ENCORE AUJOURD'HUI en argentique ? Mais pour retrouver ce plaisir au travers de cette mécanique subtile et si précise de l’appareil photo argentique! Plaisir tactile, ergonomique. Plaisir de l’obturateur qui fait sa petite musique. Plaisir de voir l’image sur le dépoli, avec ses nets et ses flous. Plaisir de jouer avec la bague de mise au point et le cliquetis des diaphragmes. Plaisir de réarmer et de supposer que l’image prise sera la bonne, par cette soustraction au moment où le miroir se relève. Plaisir de pré visualiser, cher à Ansel Adams. Plaisir d’attendre la fin du développement, puis de sortir le film encore humide des cuves de développement, après ce rituel pratiqué dans l’obscurité si propice au recueillement. Et, à ce sujet, se retirer dans son laboratoire pour y travailler dans la solitude et l'obscurité, n'est ce pas favorable à la réflexion? À une analyse sur son travail de prise de vue que l'on revisite. À une interrogation sur ce que l'on a fait de bien et de mal. En restant cloîtré dans son labo, le photographe y apprend beaucoup sur lui-même. De là à dire que ce moment de concentration et de repli sur soi fait penser à de la prière, il n'y a que quelques pas… Cette notion de recueillement quelque peu mystique de la photographie, Jean Dieuzaide l'abordait dans un entretien que j'avais filmé au Château d'eau. Il me faisait remarquer que bien des termes du champ lexical photographique étaient empruntés à la religion : révélation, fixation… Ajoutant que le Christ nous avait donné la photographie au travers du suaire de Turin, grâce à Véronique, la Sainte patronne des photographes! Cette remarque de Dieuzaide ravirait probablement Gabriel Garcia Marquez dont un personnage, dans "Cent ans de solitude" cherchait à prouver par la photographie l'existence de Dieu… Si la photographie a toujours généré des histoires divines, de magie, ou de sorcellerie, je doute que la froide technologie informatique en inspire autant. Pour revenir à des notions plus concrètes, je constate, en discutant avec des confrères, que la notion de plaisir a changé et apparaît à beaucoup de photographes par défaut, car ils réalisent soudain que l’appareil numérique est totalement silencieux, sans la moindre vibration au déclenchement. Par comparaison, on s’aperçoit du plaisir perdu, plaisir à sentir le bruit de l’obturateur et l’avancement du film, voire le bonheur de réarmer. Avec ces petits instants occupés à ces gestes, on pouvait pendant ce temps, continuer à penser sa photographie et à modifier sa construction au fur et à mesure de l’action. La concentration nécessaire à la prise de vue en numérique étant bien souvent moindre par rapport à l'argentique, elle implique une multiplication de mauvaises images. Et malgré cette abondance possible, il arrive parfois qu'il n'y en ai aucune de bonne ! La possibilité de stocker à l’infini et d’effacer multiplie aussi les prises de vues numériques qui nous envahissent et par la suite rendent problématique tout choix. Le manque de recul face aux images numériques que l'on peut voir tout de suite ( c'était déjà le cas avec le Polaroïd ) et que l’on peut effacer au moment de la prise de vue, crée une nouvelle façon de "penser l’image" et d’élaborer une série de photos. Jean François Leroy, directeur artistique du Festival de Perpignan Visa pour L'image, confirme dans "L’Indépendant" de Perpignan du 30 août 2003 qu’à la suite de la guerre en Irak, « d’un point de vue photographique, se pose la question du traitement en tout numérique de l’événement. Une première ! » dit-il « Le problème du numérique c’est qu’il n’y a plus de deuxième choix. Puisqu’on peut instantanément choisir la photo, on détruit celles qui ne servent pas. On perd des clichés à tout jamais. Pour l’histoire, il n’y a plus de "revisite" possible. On ne peut plus exhumer négatifs ou planches contact pour tirer ce qui ne l’a pas été. On risque de perdre la mémoire ». Par ailleurs, on constate qu’une désacralisation de l’acte photographique, si bien décrit, lui, par Roland Barthes, apparaît avec le numérique. L'acte de photographier perd son côté solennel : si la photo n’est pas bonne, on la détruit à l’instant sans qu’elle laisse de traces! Dans ce cas, les personnes photographiées sont plus décontractées et confiantes vis à vis du photographe, dès lors qu’elles peuvent immédiatement choisir l’image qui va rester d’elles. Mais est-ce un réel avantage pour un créateur ? Il faut aussi rappeler les propos de Roger Théron, un des patrons-fondateurs de Paris Match, qui a toujours mis en avant "le poids des mots et le choc des photos". Il a toujours précisé que les photographies publiées dans son hebdomadaire devaient être avant tout, plus symboliques qu'un fidèle reflet du réel. Ce qui signifie que les bidouillages existaient bien avant le numérique et Photoshop, mais actuellement la perfection atteinte est inquiétante et dans certains cas, suspecte. Au final, plus aucune photo n'est digne de confiance. La retouche qui rend les photos impeccables est une chose, mais, où commence-t-elle ? Et où devrait-elle s'achever ? … Et pourquoi devrait-il y avoir des limites ? La retouche, la reconstitution de photographies, la composition même d'images fabriquées de plusieurs autres, font désormais partie de l'écriture photographique. Et elles seront tout aussi impossibles à constater, comme il est impossible de vérifier le point de vue, l'objectivité, la subjectivité ou la mauvaise foi d'un journaliste qui a écrit un texte. Seule la signature de l'auteur sera garante de la qualité de ses propos, en photographie comme dans l'écrit, et plus que jamais ! Et la vidéo ? Le problème de la vidéo me semble important à considérer car il n'est pas sans parenté avec la photographie. Combien de photographes ont naturellement glissé vers le cinéma et aujourd'hui la vidéo ? La vidéo a pris le pas sur la photographie de reportage. Le son, l’image qui bouge, leur large diffusion sur les chaînes de T.V. hertziennes ou satellites et câble, sont autant d'avantages évidents sur l'image fixe et ont depuis longtemps pris la place qu’occupait la photographie, quoique… De la lourdeur fastidieuse de la vidéo... Du début de la télévision aux années numériques, de grosses équipes étaient nécessaires pour la réalisation de reportages. En 1975 il était courant que 5 personnes les constituent : chauffeur, journaliste, preneur de son, cadreur, et réalisateur. Tout cela impliquait une lourdeur et des habitudes qui persistent encore dans bien des cas. Actuellement, la tendance des nouvelles chaînes est de n’envoyer qu’un Journaliste Reporter d’Images (JRI) qui souvent fait aussi le montage de son sujet. Malgré ce, le type d’écriture imposé par les rédactions, implique une lourdeur dans la prise de vue et la réalisation. Beaucoup de prises ne sont pas spontanées et, dans la plupart des cas, les scènes sont négociées entre les JRI et les sujets participants. L’emploi d’un lourd pied pour la caméra, le besoin parfois d’éclairage, la prise de son qui demande aussi l’installation de micros, de fil, d’émetteur éventuel, contribuent à un certain manque de spontanéité. D’autant plus que la mise en place de tout ce dispositif requiert des essais préliminaires avant le tournage. Les nouvelles caméras DV présentent des avantages certains, surtout dans leur maniabilité et leur poids, ce qui fait évoluer l'écriture dans la forme; les mouvements et les cadrages deviennent plus souples…mais pas le fond du récit, qui, lui, reste figé et formaté dans les anciens carcans et les vieilles habitudes. Au niveau de l’utilisation grand public de la vidéo, force est de constater que ces dernières années, beaucoup d’amateurs qui s’étaient équipés de caméras sont revenus à la photographie, la trouvant finalement plus souple et plus commode. Et ce, d’autant plus que les appareils de photo numérique sont arrivés sur le marché avec la possibilité de filmer quelques séquences d’images et de sons. Combien de fois j'ai entendu : " Je n'utilise plus la vidéo… Au moins, avec les photos, on a des tirages qu'on peut montrer facilement, tandis que pour les films, il faut une télé et faire tous ces fichus branchements". Le fait d'envoyer les photos par Internet ou du moins d'en avoir la possibilité est un autre avantage en faveur de la photographie. Numérique ou pas, car l'on peut aussi scanner les tirages voire les négatifs. Alors, ré inventons: "l'écriture lumineuse" En France, on chasse les Anglicismes! Alors chassons aussi les origines grecques et francisons le mot Photographie. Vive L'écriture lumineuse! Et pourtant…Devant toute cette technologie performante «l’invention », (au sens des chercheurs de trésor), d’un procédé simple s’impose, qui permettrait à un homme curieux de parcourir seul le monde, libre de ses mouvement, sans équipe technique, sans autres compagnons que ses propres références et son vécu. Un procédé si simple qu’il ne nécessiterait qu’un tout petit appareil de quelques centaines de grammes tout au plus. Un instrument qui fonctionnerait à toutes les températures avec régularité et qui ne nécessiterait ni piles, ni accus. Ce petit appareil stockerait les images dans de petites cartouches avec la possibilité de traiter ultérieurement les éléments prélevés sur le monde, afin d’avoir le temps de la réflexion sur le choix, et même du "repentir", notion en même temps si chère aux peintres! Et dans le but de simplifier l’aspect technique et pour s’éloigner de la triste réalité d’une représentation colorée des choses dont on est repu face aux médias contemporains, les images enregistrées seraient traduites dans une gamme de gris allant du blanc au noir uniquement. Laissons donc la couleur au numérique et à la vidéo qui la traduisent si bien! On pourrait envisager alors de fournir ce type d’appareil à des êtres humains, en opposition à ces systèmes automatiques, si bien analysés par Paul Virillo, qui, eux, nous filment et nous photographient sans intervention humaine. Des Hommes choisis pour leur vision particulière du monde, pour leur point de vue sur les choses. Et l’on prendrait plaisir à observer avec attention les images que ces gens là nous rapporteraient de tous les sujets qui pourraient leur inspirer une prise de vue. Chacun préférerait l’un ou l’autre de ces "rapporteurs d’images de confiance" pour la pertinence de ses points de vue, sa déontologie, son engagement personnel et philosophique, voire politique dans sa vision et interprétation du monde. On pourrait alors envoyer ces hommes de confiance avec leur tout petit appareil, de par notre relatif monde pour qu’ils nous ramènent leurs impressions en images sur tous les sujets qu’ils choisiraient eux-mêmes, puisqu’on leur ferait confiance. Et, en plus, cela coûterait moins cher que ces équipes de Télévision au regard formaté par leur directeur de conscience, oh! pardon! je voulais dire directeur d'antenne. Pourquoi photographier encore? Mais pour le plaisir intellectuel et physique, voire sensuel de le faire! Pour aller à la recherche de l'essentiel, débarrassés enfin de tout ce superflu qui nous entrave. Enfin libres, sans la lourdeur de toute cette fabuleuse technologie. Libres comme un écrivain et son crayon, comme un peintre et son pinceau ! Pourquoi photographier encore ? Mais pour "faire image", comme ils disent à la radio ! Pour se mettre en "stand by" comme ils disent à la télé! Quel luxe d'arrêter le flux ininterrompu de cette avalanche de surinformation ! Quel plaisir de s'arrêter sur une écriture lumineuse ! Plus que jamais la photographie m'apparaît pleine d'avenir, comme une affaire d'auteur qui réfléchit, choisit, élabore et structure son discours photographique. Et plus que jamais la définition de Daguerre en 1838, me semble d'actualité : « La découverte que j’annonce au public est du petit nombre de celles qui par leurs principes, leurs résultats, et l’heureuse influence qu’elles doivent exercer sur les arts, se place naturellement parmi les inventions les plus utiles et les plus extraordinaires … Elle consiste dans la reproduction spontanée des images de la nature reçue dans la chambre noire » Aujourd’hui encore si la photographie, et plus particulièrement la photographie en noir et blanc, n'existait pas, il faudrait l'inventer. Et, de par sa simplicité et son efficacité, on trouverait le procédé tout à fait génial. Que vive l'écriture lumineuse! Charles Camberoque , 2002.
Charles Camberoque, photographe Méditerranéen
Par Jean Arrouye
Charles Camberoque n'a pas photographié seulement la vie des riverains de la Méditerranée, loin de là. Expression que l'on peut d'ailleurs prendre au pied de la lettre puisqu'il est allé faire moisson d'images notamment en Chine et dans l'île de La Réunion. Cependant dans ces pays lointains comme dans le proche terroir de Montpellier qu'il a souvent photographié parce qu'il habite cette ville, ce qui a toujours retenu son attention est la vie des hommes, la vido vidanto, comme on dit en provençal, c'est-à-dire aussi bien leur vie quotidienne dans ses manifestations ordinaires, travail, habitat, vie de famille, insertion dans un milieu humain et géographique que leurs activités exceptionnelles, participation aux événements festifs qui marquent le cours de l'année, pratique de jeux, engagement dans l'organisation de cérémonies qui perpétuent rites et traditions constitutifs de la culture locale. Ce faisant Charles Camberoque ne se contente pas de saisir l'apparence des choses et des comportements. Les photographies qu'il prend lorsqu'il s'intéresse à un groupe humain ou à une activité sociale constituent un tout qui se veut explicatif et non pas seulement constatif. Ce qui intéresse ce photographe est moins l'apparence des choses que les raisons qui font que les choses sont telles qu'elles paraissent. Il cherche à comprendre comment et pour quoi vivent les gens et à le faire comprendre à d'autres par ses photographies. Aucune photographie ne vaut donc pour elle-même mais pour la façon dont elle contribue à la compréhension du sujet étudié. Cela exclut le pittoresque et le spectaculaire et les "belles" images qui accrochent le regard, au profit de photographies "fortes" dont l'organisation visuelle est justifiée par le souci de mettre en évidence un fait signifiant ou un caractère symptomatique. Cette soumission de l'apparence à la signifiance ne se fait cependant pas au détriment du plaisir esthétique du spectateur, ainsi qu'en témoignent des photographies comme celle des processionnaires du carnaval de Ladern cheminant sous une tempête de confettis, ou celle du bond prodigieux du lévrier des Baléares qui semble voler, ou encore les images ludiquement cruelles des victimes des Paillasses de Cournonterral. Dans ces images, si la forme est au service de l'information, celle-ci en retour confère à la forme une légitimité qui la valorise et rend la photographie difficilement oubliable. Parce qu'il rend compte ainsi simultanément de l'apparaître et de l'être des choses, Charles Camberoque est un photographe méditerranéen. En effet, depuis qu'Homère fit descendre Ulysse aux enfers, cette chambre noire démesurée, pour y retrouver ses anciens compagnons et y découvrir le sens de l'existence, l'aventure de l'art, dans la tradition méditerranéenne, a toujours été une aventure de la mémoire qui reconsidère le vécu pour lui donner sens, et l'image simultanément une représentation du sensible et la figuration d'un intelligible. Nul ne fait mieux la preuve de la force de l'art fondé sur cette double ambition que Charles Camberoque dans ses photographies. Jean Arrouye « Charles Camberoque : Tradition et rites méditerranéens » Publié par : La Fondation Regards de Provence – Reflets de Méditerranée - Marseille Février 2004
Répertoire des textes figurant dans le site
Des nouvelles du réel par Gilles Mora Charles Camberoque photographe Méditerranéen par Jean Arrouye Du récit à l'idée : poétique de Camberoque par Jean Arrouye Ethnologie et... Photographie par Jean Dieuzaide Les photographies de Charles Camberoque par André Vinas L'écriture lumineuse par Charles Camberoque La fête en Languedoc par Daniel Fabre La fête en Languedoc par Jean Dieuzaide La vérité du masque par Joseph Frayssinet Les paillasses de Cournonterral par Jean Arrouye Révélation d'une fête par Robert Pujade Anasténaria par Charles Camberoque Marche sur le feu à Aghia Eleni par Jean Arrouye Chasses Méditerranéennes par Jean Arrouye L'instant d'après par Michel Polac Le jeu de balle au tambourin par Max Rouquette La trame du réel par Jean-Louis Poitevin La Chine de Charles Camberoque par Jean Arrouye Décors de vie par Jean Arrouye Du Zambèze à l'Hudson par Charles Camberoque
Charles Camberoque, photographe Méditerranéen
Par Jean Arrouye
Charles Camberoque n'a pas photographié seulement la vie des riverains de la Méditerranée, loin de là. Expression que l'on peut d'ailleurs prendre au pied de la lettre puisqu'il est allé faire moisson d'images notamment en Chine et dans l'île de La Réunion. Cependant dans ces pays lointains comme dans le proche terroir de Montpellier qu'il a souvent photographié parce qu'il habite cette ville, ce qui a toujours retenu son attention est la vie des hommes, la vido vidanto, comme on dit en provençal, c'est-à-dire aussi bien leur vie quotidienne dans ses manifestations ordinaires, travail, habitat, vie de famille, insertion dans un milieu humain et géographique que leurs activités exceptionnelles, participation aux événements festifs qui marquent le cours de l'année, pratique de jeux, engagement dans l'organisation de cérémonies qui perpétuent rites et traditions constitutifs de la culture locale. Ce faisant Charles Camberoque ne se contente pas de saisir l'apparence des choses et des comportements. Les photographies qu'il prend lorsqu'il s'intéresse à un groupe humain ou à une activité sociale constituent un tout qui se veut explicatif et non pas seulement constatif. Ce qui intéresse ce photographe est moins l'apparence des choses que les raisons qui font que les choses sont telles qu'elles paraissent. Il cherche à comprendre comment et pour quoi vivent les gens et à le faire comprendre à d'autres par ses photographies. Aucune photographie ne vaut donc pour elle-même mais pour la façon dont elle contribue à la compréhension du sujet étudié. Cela exclut le pittoresque et le spectaculaire et les "belles" images qui accrochent le regard, au profit de photographies "fortes" dont l'organisation visuelle est justifiée par le souci de mettre en évidence un fait signifiant ou un caractère symptomatique. Cette soumission de l'apparence à la signifiance ne se fait cependant pas au détriment du plaisir esthétique du spectateur, ainsi qu'en témoignent des photographies comme celle des processionnaires du carnaval de Ladern cheminant sous une tempête de confettis, ou celle du bond prodigieux du lévrier des Baléares qui semble voler, ou encore les images ludiquement cruelles des victimes des Paillasses de Cournonterral. Dans ces images, si la forme est au service de l'information, celle-ci en retour confère à la forme une légitimité qui la valorise et rend la photographie difficilement oubliable. Parce qu'il rend compte ainsi simultanément de l'apparaître et de l'être des choses, Charles Camberoque est un photographe méditerranéen. En effet, depuis qu'Homère fit descendre Ulysse aux enfers, cette chambre noire démesurée, pour y retrouver ses anciens compagnons et y découvrir le sens de l'existence, l'aventure de l'art, dans la tradition méditerranéenne, a toujours été une aventure de la mémoire qui reconsidère le vécu pour lui donner sens, et l'image simultanément une représentation du sensible et la figuration d'un intelligible. Nul ne fait mieux la preuve de la force de l'art fondé sur cette double ambition que Charles Camberoque dans ses photographies. Jean Arrouye « Charles Camberoque : Tradition et rites méditerranéens » Publié par : La Fondation Regards de Provence – Reflets de Méditerranée - Marseille Février 2004
Du récit à l'idée : poétique de Camberoque
Par Jean Arrouye
Charles Camberoque est d'abord un conteur. Nul n'a son pareil pour narrer le labeur des hommes, décrire avec précision leur comportement, fixer exactement leurs gestes professionnels, saisir avec acuité la posture ou l'expression révélatrice de leur état d'esprit, faire sentir l'attention qu'ils prêtent à l’accomplissement de leur travail et la tension qui en résulte, faire comprendre avec quel sérieux s'accomplissent les tâches les plus humbles et les plus prestigieuses, du tisserand ou de la chanteuse d'opéra, des dépeceurs de taureaux ou du matador, et avec quelle intensité se poursuivent les activités de plaisir, chasse au lapin dans l'île de Majorque ou cortège de l'âne dans les rues de Carcassonne, danse carnavalesque à Ladern, en Languedoc, écoute de musiciens de rue à Ansai, en Chine. Par là Camberoque se range au nombre des photographes humanistes qui font l'éloge de ceux dont ils fixent l'histoire. Il partage avec eux la conviction qu'en tout être réside une part de dignité et de noblesse qui mérite plus que toute autre chose d'être mise en évidence. Cependant chaque photographe humaniste met l'accent de façon préférentielle sur un aspect particulier de cette dignité : pour Boubat c'est la grâce, pour Lartigue l'élégance, pour Cartier-Breson l'harmonie, pour Salgado la grandeur ; pour Camberoque, c'est la gravité. L'efficace des images narratives de Camberoque repose sur trois vertus dont le concours définit un style qui conjoint clarté d'exposition et force dramatique. La première de ces vertus est un sens aigu de l'organisation de l'espace selon les nécessités d'exposition du sujet. Ainsi dans la scène de chasse à Majorque l'espace se creuse selon la diagonale, à partir de la présence à l'extrême gauche d'un chasseur (unijambiste !) vu de dos et il est jalonné à distances diverses d'autres guetteurs. Dans la scène où l'on voit un groupe d'hommes maîtriser une vache récalcitrante, c'est au contraire de droite à gauche que s'ouvre l'espace, à partir du compas dessiné par la vache couchée et les deux hommes debout au premier plan, entre les branches duquel s'étend le sol piétiné de l'arène improvisée que ferme au fond et en haut de l'image l'attroupement des autres vaches groupées en demi-cercle. Et comment ne pas être touché de la grâce des marionnettistes chinois dont les silhouettes, notes claires posées sur la portée sombre des chevrons du toit, semblent préfigurer le jeu saccadé des personnages qu'ils manipulent. Dans ces trois images comme dans le plus grand nombre de celles que compose Camberoque les oppositions des zones d'ombre et des étendues éclairées structurent l'espace. La deuxième vertu est la justesse des rapports établis entre les personnages, démonstrative de la nature de leur implication dans l'événement photographié : les quatre hommes qui portent précautionneusement le cochon sacrifié composent un rectangle dressé sur le bord inférieur de l'image, juste figure de leur entente. La chanteuse du conservatoire de Pékin et son pianiste, distants l'un de l'autre dans la profondeur de la salle de répétition, forment sur le plan de l'image un trapèze régulier qui manifeste leur accord tandis que les mouvements de leurs deux bras battant la mesure s'ajustent aussi en surface en un angle droit exact ; quant à la jeune fille roulée dans le moût de raisin par les «paillasses» de Cournonterral, sa position à l'extrême droite, son visage repoussé jusqu'à la limite de l'image par le bras d'un de ses agresseurs, démontre que sa situation est sans recours. Il va de soi que cette maîtrise de la répartition des personnages ou de leurs groupements est étroitement dépendante du choix de cadrages judicieux. La dernière vertu est la subtilité de l'intégration, par la sélection d'angles de prise de vue appropriés, des personnages aux lieux dans lesquels ils se trouvent. A Ansaï l'angle d'une maison détermine les espaces dévolus respectivement au joueur de trompette et aux enfants assemblés ; au conservatoire de Pékin la théorie des chaises vides derrière les élèves réunis autour du piano est comme la queue d'un cerf-volant dont le groupe serré des musiciens serait le corps ; dans la scène de l’égorgement des agneaux en Grèce le tueur et sa victime sont photographiés de sorte qu'ils prolongent la courbe du tronc de l'arbre situé derrière eux et qu'en conséquence l'événement paraisse un fait de nature, ce qu'est en quelque sorte cet acte rituel saisonnier, réitéré de temps immémorial. Toutefois les photographies de Camberoque ne sont pas toutes narratives. Il pratique le portrait avec la même réussite dans la caractérisation des personnages que celle qu'il manifeste dans la description des événements, campant ses serveuses de Thessalonique entre miroir et comptoir, plat préparé et réserve de boissons, ou surprenant à Songsang un couple âgé de vanniers dans leur travail, sur fond d'empilement de grands paniers ventrus. Ailleurs c'est la beauté d'un spectacle, l'étrangeté d'une situation, la qualité d'une atmosphère qui arrêtent le photographe : rime des visages ronds des enfants d'Ansaï et de seaux de fers-blancs entassés au-dessus d'eux, ballet des cyclistes d'Anquiu paraissant circuler en apesanteur par vertu de prise de vue en contre-plongée, marche dans les nuages du cuisinier d'Ansaï environné de la buée de ses marmites, irréalité des carnavaliers de Ladern dont les silhouettes blafardes semblent n'être que des découpes faites dans le dense tissu de la nuit, par lesquelles on découvrirait son envers, blanc moucheté de noir, négatif de l'obscurité nocturne piquetée de blanc. Quand les spectacles de la vie tournent ainsi à la fantasmagorie et que se réduit la distance entre les êtres et les choses, ou les éléments, on découvre que la gravité de Camberoque ne consiste pas seulement à prendre au sérieux ce que sont et que font les hommes, mais qu'elle tient aussi à la manière de les montrer, de qualifier leur façon d'être. Les personnages de Camberoque sont volontiers solitaires, perdus dans des espaces démesurés, tel l'enfant qui chemine sur un lit de cailloux sans fin dans le Shaanxi ou la petite fille assise à une table de pierre, dans l'ombre d'un arbre au tronc énorme, sur une place vide de Fujian, ou figés dans des situations d'attente indéfinie, telle cette femme assise dans la salle d'entraînement rongée d'ombre d'une école de danse ou ces deux personnages debout, immobiles au bord de voies ferrées désertes, comme se tenaient les figurants dans le parc de L'été dernier à Marienbad. Cette solitude est d'autant plus marquée et attristée qu'elle se laisse percevoir dans des situations liées à l'expression de la liesse collective, comme lorsque le photographe rencontre à Mèze un « cheval-jupon » se désaltérant, toute allégresse perdue, ou observe à La Réunion un éleveur de coqs de combat regardant, l'air désabusé, ses volatiles s'exercer à leur jeu mortel. Les plus poignantes photographies de Camberoque sont dépourvues de figurants car, par pudeur et par respect pour ceux qu'il photographie, il n'insiste jamais sur leur détresse possible. Mais à Béziers un cheval noir caparaçonné, attaché dans les coursives des arènes, décorées des marques d'élevages de taureaux et des armoiries de la mort - majuscules ponctuations noires sur des parpaings du mur, au premier plan -, à Barcelone une cohorte de manteaux en contre-jour, garde funèbre en faction dans une vitrine, à Xiamen une chemise posée de guingois sur un cintre devant un panorama peint de port maritime, à Corfou une maison à la fenêtre ténébreuse recueillant sur sa façade les dernières lueurs du jour sous un ciel chargé de lourdes nuées, sont autant de symboles éloquents de la solitude et de la difficulté d'être. Par là se découvre une autre dimension du talent de Camberoque, contemplative et méditative, et une autre sorte de gravité que celle qui était conférée aux hommes observés dans leurs activités, gravité des choses et des situations, qui n'est pas sans retentir sur l'autre évidemment, rappelant que la vie n'est pas faite que de travaux et de jours heureux. Le monde de Camberoque, à la différence de celui de bien des photographes humanistes, n'ignore pas la mort. Il l'assume et la représente. Non pas la mort des hommes cependant; celle du taureau ou du cochon lui paraissent suffire à établir que le tragique existe. Mais il en invente des images emblématiques : celle du «paillasse » de Cournonterral étendu de tout son long dans le moût de vin, cadavre fictif enlisé dans la fange fausse ; celle d'une travailleuse de La Réunion, cisaillée à mi-corps par le bord de la photographie, de sorte qu'on ne voit d'elle que les jambes et le bas d'un caleçon blanc plissé lui enveloppant les cuisses comme des bandelettes, sur fond de fibres végétales tressées en forme de croix. Figures vraies, images feintes; narrations suspendues, seuils du symbole. Ces images d'ambiguïté calculée introduisent à un autre registre de la création de Camberoque, lorsque, observant les choses pour elles-mêmes, il en célèbre - en invente, plutôt - la beauté en des images toutes d'harmonie, natures mortes ou paysages, relevant de cette catégorie mentale de «la vie coite» qu'à l'époque classique revendiquaient pour leur cause aussi bien les esthètes libertins que les artistes moralistes parce qu'elles peuvent être indifféremment inclinées vers un fervent éloge de la vie ou vers la discrète évocation de la mort. La resserre majorquine où s'accumulent tomates et soubressades semble bien être du côté de la vie : pourtant sur la paroi où elles sont pendues les soubressades dessinent une funèbre guirlande et sur l'autre projettent comme l'ombre d'une de ces statuettes que les Africains plantent dans les paniers d'ossements d'ancêtres, que figurerait bien ici l'entassement sombre des tomates. La théière de Mao luisant dans l'ombre sous l'écran d'une fenêtre géométriquement compartimentée, banal matériel domestique, évoque cependant l'instrumentation de quelque rituel. Les paysages sont semblablement équivoques, celui de Corfou avec ce cerceau étrangement suspendu en l'air au-dessus d'un objet indécidable, cadre de bois défoncé, tissu déchiré, tombé à terre, devant une mer pétrifiée, et celui où, devant un miroir d'eaux immobiles qui reflète d'harmoniques collines intemporelles, des restes de fondations parlent de disparition et de destruction. Dans ces natures mortes qui hésitent entre le prosaïque et le sacré et ces paysages indécidés entre la sérénité et la mélancolie, dans ces images où le temps et le sens sont suspendus, Camberoque est tout le contraire d'un conteur. Cependant il n'y a pas opposition entre le chroniqueur attentif et le poète méditatif. Les images sans personnage sont aussi des compléments d'histoire et les histoires peuvent cristalliser en images emblématiques. En témoigne cette extraordinaire photographie d'un lévrier saisi au plus intense de son élan, arrêté au plus haut de l'image, bondissant, oreilles pointées, pattes tendues, queue dressée comme une perche tirant de quelque invisible caténaire l'énergie qui propulse le chien en avant dans un vol horizontal ; image irréelle dans son extrême réalisme, capture par l'objectif de ce que l'oeil ne saurait percevoir, figure d'un temps suspendu à jamais et d'un élan pour toujours maintenu, comme celui de cette flèche paradoxale que les sophistes grecs décrivaient toujours plus proche de son but mais n'y parvenant jamais ; vue de l'esprit, image sidérante qui, une fois passée la première impression de perception aiguë d'un instant précis de la course du chien, se fige en figure émerveillante de l’idée de la vélocité. L'art de Camberoque à son plus haut c'est cette fulguration de l'apparence qui donne forme visible à l'idée. Jean ARROUYE Texte publié en 1994 dans le numéro des Cahiers de la Photographie consacré à Charles Camberoque et intitulé : « Charles Camberoque Photographies 1975 –1993 »
Des nouvelles du réel
Par Gilles Mora
Est-ce un crime de ne pas être, en art, de son temps? Et n'est-ce pas, au fond, un soulagement? Voici la double question que ne semble pas se poser Charles Camberoque, photographe habitant Montpellier, discrètement reconnu des instances critiques ou institutionnelles qui, de Paris, «font» la photographie. Étrange situation que celle de cet artiste. Non pas ignorant de ce qu'il serait nécessaire de produire en photographie pour, comme on le suggérait plus haut, «être de son temps». Plutôt oublieux de cette référence, qui, au fond, ne le concerne pas. Et qu'on définirait comment, au juste? D'abord, comme l'obligation de ne plus s'occuper de la réalité immédiate, prosaïque, celle que je nommerais, parlant de Camberoque, la réalité locale. Puis, la conception d'univers plastiques à destination des musées, des catalogues internationaux produits par ces derniers, bref, toutes ces voies convenues, étroites et fonctionnarisées de l'art contemporain, au bout desquelles finissent par s'atrophier, dans la plupart des cas, les moindres générosités de l'imagination photographique. Partir du réel, et s'abîmer dans son contraire : son fantasme muséal, éditorial. Pourquoi ne pas être alors en droit de se poser la question, dont, observant des œuvres comme celles de Camberoque, nous soupçonnerions brusquement l'ébauche d'une réponse : que nous donne, aujourd'hui, la photographie, sinon, dans la plupart des cas, des nouvelles sur elle-même? De quoi nous parle-t-elle, sinon de ce que les sbires de son discours prétendent lui faire dire ? Derrière quelle enveloppe rebutante s'abrite-t-elle, lorsque disparaît cette notion toute bête, mais tellement rare en art, que l'on nomme la fraîcheur, cette brusque détente de l'esprit surpris par ce qui ne se fait plus, ne se voit plus, n'a plus le droit d'être? Non pas la recette camouflée en fausse nouveauté. Mais ce que l'on peut encore apercevoir, à travers une photographie, de surprise maîtrisée. Pour tout dire, Charles Camberoque ne prétend pas réaliser une oeuvre novatrice. Il n'a aucune aspiration à une consécration dont il sait bien, par expérience, qu'elle impliquerait une ambition professionnelle qui n'est pas la sienne. Justement, ce qui m'intéresse, chez lui, c'est cet état serein de la création, cette certitude que la photographie a encore de belles surprises à procurer dans la perspective d'une vision classique. Nulle distorsion forcée dans ce que Camberoque renvoie de la réalité à laquelle, la plupart du temps, le confronte la commande (de livre, d'illustration, de reportage). Cela signifie, en clair, l'usage de la finesse dans l'établissement de l'image. Accepter, sans drame, de se référer à une tradition, et, dans le même temps, imposer la culture de son regard. On a voulu enfermer ce photographe dans la tradition occitane : ses images de Chine démentent ce point de vue. On pourrait en faire le survivant d'un style du photo-reportage français teinté d'humanisme : sa maîtrise du silence et de la tension musicale, dont ses meilleures images portent la trace, ont une retenue et un sens allusif, une maîtrise du second degré, auxquels nous ont habitué peu de représentants du réalisme poétique. Charles Camberoque sait qu'en photographie, surtout dans la pratique classique qu'est la sienne, un excès de perfection tue. D'où une réserve, souvent élégante, toujours portée par un désir de lisibilité, dont la discrétion repousse le maniérisme de cette école française du regard à travers laquelle, de Marc Riboud, en passant par Guy Le Querrec ou Dytivon, il est difficile de ne pas trouver les raisons d'un agacement ; en effet, l'anecdote y fournit trop facilement le prétexte à une géométrisation qu'on excuse chez Cartier-Bresson (ses justifications esthétiques sont, chez lui, clairement assumées), mais qui ne s'impose, chez les autres qu'arbitrairement. Pour cela, j'aime les pudeurs visuelles de Camberoque, lorsque celui-ci ne voit pas la nécessité de pousser la composition jusqu'au bout, mais plutôt, l'amorçant au plus juste, en fait une virtualité pour le regard et l'intelligence du spectateur. Suggérer, montrer en douceur : voici une documentation du réel dans laquelle Camberoque excelle. A quoi peut donc bien servir un photographe tel que Camberoque? Et, au-delà de son cas exemplaire, on pourrait élargir la question à tous ceux pour qui la photographie est toujours un inventaire du monde, une collecte d'images rodées à la mesure des grands maîtres classiques du reportage. Au moment où la photographie contemporaine hésite entre la conceptualisation outrancière ou les excès de la matière, leur pratique offre une zone heureuse : ni remise en cause d'un art du réel, ni problématique coupable à propos de l'immatérialité de son matériau, la photographie de Charles Camberoque maintient encore en vie ce que d'autres, depuis quelques années, s'acharnent à vivre comme une disparition. Gilles MORA Texte de présentation publié en 1994 dans le numéro des Cahiers de la Photographie consacré à Charles Camberoque et intitulé : « Charles Camberoque Photographies 1975–1993 »
Les photographies de Charles Camberoque
Par André Vinas
Un très grand plaisir pour les yeux d'abord que cette superbe exposition de photographies de Charles Camberoque, très bien présentées par notre ami Jacques Deloncle dans son fief de la «Casa Pairal», un Jacques Deloncle qui sait être orateur et poète. Non seulement un plaisir des yeux, mais aussi un plaisir de l'esprit. Car il y a une constante dualité dans l’œuvre de Camberoque. Sans doute il n'oublie que le photographe a la tâche à la fois modeste et difficile de montrer, de nous faire cheminer à travers la réalité sous toutes ses formes, et c'est à lui de savoir choisir celles qui lui conviennent. Il doit nous révéler l'objet que nous pouvons ou que nous ne savons pas voir - et là sa démarche se rapproche de celle du peintre avant la découverte de la photo - mais aussi, s'il veut explorer d'autres routes que celles du document ou du reportage, il doit accepter de nous faire parvenir à sa propre connaissance de l'objet. Et alors cette quête subjective est bien celle du poète dans toute son exigence créatrice. C'est cette dualité en même temps narrative et onirique, toujours présente chez Camberoque, qui charme au plus haut point celui qui regarde cette oeuvre. Nous devrions être blasés. Notre époque est celle de l'image. Nous sommes entourés d'images, de toutes sortes, de tous formats, de tous sujets. Et voilà qu'un chasseur d'images - un de plus, devrions-nous dire - nous arrête, nous interpelle, non pas par le caractère choquant, tapageur, publicitaire de ses images, mais par un charme subtil qui, en demi -teinte, discrètement, amicalement, nous pénètre, et finalement nous séduit. Mariage harmonieux du réalisme et de la poésie ! Dans ce remarquable choix qui s'étale entre 1975 et 1993, où Camberoque nous promène à travers les images fortes des Paillasses de Cournonterral, celles des arènes espagnoles, celles, extraordinaires de souplesse et de mouvement, des fameux chiens de Majorque, et celles étonnantes d'une Chine pour nous inconnue, mais où l'auteur découvre des gestes d'une simplicité fondamentale qui n'a pas d'âge ni de lieu, nous rappelant avec une suprême élégance que la beauté est universelle parce qu'elle est en chacun de nous si nous voulons bien la chercher, dans ce choix donc, tiré d'une production déjà considérable, nous pouvons apprécier certes le métier sans défaut d'un artiste qui ne fait aucune concession à la facilité pour mieux nous faire pénétrer dans un univers étrange, souvent surréaliste, où le moindre détail nous plonge dans un abîme de réflexions. Un très bel album de cette exposition, préfacé par deux textes de qualité, l'un de Gilles Mora, l'autre de Jean Arrouye, est édité par les "Cahiers de la Photographie". André Vinas Compte rendu de l’exposition présentée en 1994 à la Casa Pairal du Musée des Arts et Traditions Populaires du Castillet à Perpignan. Publié dans le revue Conflent N°192
PRINCIPALES EXPOSITIONS DE PHOTOGRAPHIES :L’instant d’après
Par Michel Polac
En regardant les photos de Charles Camberoque - ces visages hilares, cette ambiance de kermesse qui n’a pas changé depuis les tableaux de Breughel - je me dis qu’il y a toujours eu fêtes, carnavals et ferias pour permettre aux hommes de se défouler ; et à la corrida, qu’ai-je fait d’autre de que sentir bouger la bête archaïque tapie au fond de chacun de nous. Qui veut faire l’ange fait la bête. Restons des hommes, même si l’impossible absolu nous fascine. Charles Camberoque nous montre la réalité telle qu’elle est ; il n’y en a pas d’autre, sinon dans nos rêves. Nous avons besoin de rêve et d’utopie, mais pas de haine, de violence et du mensonge de ceux qui veulent mettre le monde sens dessus dessous sous prétexte d’imposer l’ordre, leur ordre. Il y a du désordre dans la nature dans l’univers et dans les galaxies, il y a du désordre dans l’homme, on s’en aperçoit toujours les soirs de fête. Michel Polac écrit dans le biterrois en juillet 1990. Extrait de la préface de Michel Polac pour l’album de Charles Camberoque « L’instant d’après » Photographies de la Féria de Béziers de 1989.
Féria
Photographies publiées dans : L’instant d’après Editions Mairie de Béziers Charles Camberoque Photographies 1975-1993 Editions Les Cahiers de la Photographie
La Fête en Languedoc
Par Jean Dieuzaide
Avez-vous rencontré le regard de Charles Camberoque : deux yeux grand ouverts dans l’univers d’un visage arrondi par des cheveux bouclés ; le tout d’une naïve bonté, même si la commissure des lèvres ou le sourire chercheur nous préviennent par moments que quelque chose ou quelqu’un risque de se faire happer par la petite boîte prompte et magique qu’il porte amoureusement autour de son cou. Ses images sont pareilles, elles lui ressemblent et sont en général des images fortes et bien campées, comme lui. C’est ainsi qu’il photographie le Languedoc de son père et des siens. Il en décrit minutieusement les pleins et les déliés, les contours et l’intérieur, sans fard ni fioriture, pour ne pas dire sans concession… Et la fête continue : il en paye sa place avec du temps perdu. Personne avant lui n’avait su encore regarder cette aimable folie des jours de liesse de notre Midi à la fois enraciné et résurgent chaque année davantage. Devant les gestes qui se libèrent tout au long de la « festa » et jusqu'à ses derniers soubresauts, ses derniers flonflons, Charles regarde, lucide et parfois critique avec son œil, tendre et amusé. « Si le miroir réfléchissait deux fois, il ne nous renverrait pas notre image »… aimait à dire Cocteau. Charles Camberoque s’attache aussi aux regards de ceux qui ne jouent pas. Le spectacle n’est pas seulement dans l’arène ; si la joie du soleil paraît tannée, le visage des gens d’Oc, leur rire ou leur masque tombe devant l’objectif, trahissant leur moi profond quand ce n’est pas leur peur… Étrange et mystérieuse alchimie que nous révèlent les superbes photographies de cet historien par l’image. Œuvre d’ethnologue aussi, qui nous ouvre, avec l’aide de ses photographies, de nouveaux chemins de la connaissance à la découverte de l’homme de chez nous ou d’ailleurs. Jean Dieuzaide 1989 Préface de Jean Dieuzaide à la deuxième édition de « La Fête en Languedoc » publiée par les éditions Privat en 1990.
La Fête en Languedoc
Par Daniel Fabre
Parce qu’elle est spectacle en mouvement et constante surprise, la fête invite à l’image ; or, elle est, pourtant, le plus insaisissable des sujets. Nul n’exige autant de maîtrise, de méditation, de retours sur soi pour qu’au bout du compte émerge l’unité inoubliable d’une vision. De toute évidence, les photographies de Charles Camberoque témoignent de cette lente traversée ; prises dans le feu de l’action festive, elles ne laissent rien au hasard, leur ensemble propose un dévoilement de la fête languedocienne, un chemin vers le cœur du carnaval. D’abord Charles Camberoque rend la fête à ses acteurs. Il saisit sous la fixité du rite la mobilité du personnage en soulignant toujours ce que le masque laisse entrevoir de fureur ou d’absence, de joie illuminante ou de mélancolie. Faire la fête, c’est aussi bien la contempler. Le feu du carnaval en effet absorbe toujours celui que l’on aurait tort de prendre pour un « simple » spectateur. Cette relation intime, ce dialogue - prolixe ou muet - Charles Camberoque l’explore : il met en place la multiplicité des plans sur lesquels l’acteur masqué se détache : il révèle le tissu dense des regards échangés, des gestes d’approche et d’offrande… Enfin ces images donnent à voir, comme nulles autres, le temps de la fête elle-même. Son départ timide et comme forcé la montée de son paroxysme – violence chaotique des Pailhasses, élans aériens des Fécos – jusqu’au moment trouble de la nuit où tout vacille et s’abime dans la musique et le feu. Les Photographies de Charles Camberoque ont déjà reçu un accueil émerveillé à Toulouse (Galerie du Château d’Eau), Barcelone (Fondation Miro), Paris (Centre Beaubourg)… elles ont plus de trente ans en 2005, mais seront encore cette année le miroir où le Carnaval qui vient se réfléchit et s’exhalte. Daniel Fabre. Texte de présentation de l’exposition itinérante « La Fête en Languedoc » exposée dans plus d’une centaine de villes et villages d’Europe.
Charles Camberoque saisit la vérité du masque
Par Joseph Frayssinet
Charles Camberoque nous révèle la fête et saisit la vérité du masque : " mémoire absolue en même temps que désir de temps sans mémoire ". Il sait, derrière le masque, restituer au sujet son identité. Il nous donne à voir que le masque est davantage fait pour dévoiler que pour cacher. Masque vient de mascha qui, en bas latin, signifie sorcière; or, sorcière en un de ses sens, se dit des choses qui captivent. Masque, Sorcellerie, Fête, Folie ? les mots tournent comme les images que Camberoque saisit et qui nous saisissent, nous captivent. Le sens de la fête, c'est d'inverser l'ordre des choses. La fête c'est la liberté et si on est fou de liberté, on ne l'est jamais de folie. La fête est là, dans chaque image, sous nos yeux, comme un monde fou, mais toujours à distance tenu : corps qui se mélangent mais jamais ne se confondent, espaces temporels qui s'expriment en repères éclatés mais jamais confondus, représentations sociales qui se retournent, s'inversent ou se renversent mais toujours se repèrent. Fusion du temps, des objets, des êtres et des choses mais jamais confusion. Fureur des corps, des gestes et des sens. Liberté rencontrée, acceptée, reconnue. Folie vécue qui fait enfant le vieillard, qui fait homme la femme et son inverse qui fait noir le blanc et son contraire, qui met le haut en bas, le devant derrière et fait du soleil la nuit. L'ordre est bouleversé, les repères dispersés mais dans ce désordre apparent un fil conducteur maintient du sens. Dans cet espace nouveau que la fête lui à fait conquérir, l'homme, de la folie, ne prend que l'apparence. Chacun sait qu'il est dans le jeu de la folie et y trouve une place. Au-delà de cet embrasement, après un temps, chacun, homme, femme et enfant, réintégrera son corps retrouvé. Ainsi, en un moment, l'homme a pu rencontrer la déraison, si proche de la raison, et poursuivre dans le jeu la quête d'un je-sujet qui toujours se dérobe. Camberoque a su nous rappeler tout ça. Joseph Frayssinet. Août 83 Introduction à l’exposition de Charles Camberoque : La Fête en Languedoc, présentée à St Guilhem le Désert en 1983.
0010 : Meunier de Limoux 1976 0020 : Le Pouget 1999 0030 : Pétassou Carnaval de Trèves 1976 0040 : Carnaval du Pouget 1999 0050 : Fête de la Saint Antoine Andorre 1980 0060 : Le Pouget 1999 0070 : Tour de l’Ane Citée de Carcassonne 1976 0080 : Carnaval à la Paillade Montpellier 1985 0090 : Pétassou de Trèves 1976 0100 : Fée moustachue Le Pouget 1999 0110 : La Reine du Carnaval Le Pouget 1999 0120 : Limoux 1976 0130 : Carnaval de Pézénas 1976 0140 : Le Pouget 1999 0150 : « Non à Maastricht » Carnaval du Pouget 1999 0160 : Tempête de confettis Ladern 1976 0170 : Carnaval de Quillan 1976 0180 : Sortie des Meuniers Limoux 1976 0190 : Procession de Saint Fulcran Lodève 1987 0200 : Procession aux Auzils Gruissan 1968 0210 : Messe de Saint Fulcran Lodève 1987 0220 : Procession du Jeudi Saint Espagne 1982 0230 : Lodève 1987 0240 : Procession de Verges Catalogne 1982
Fêtes et carnavals
Photographies publiées dans :
La fête en Languedoc : Editions Privat 1976/1990 (épuisé)
Charles Camberoque photographe
Catalogue de la Galerie du Château d’Eau de Toulouse
368 jours la Fête la Vie… Editions Bibliothèque 42
Charles Camberoque : traditions et rites méditerranéens
Editions Fondation Regard de Provence - Reflets de Méditerranée
Décors de vie
Par Jean Arrouye
Auteur de photographies perspicaces qui donnent à connaître la nature des traditions et la raison des rites de sociétés méditerranéennes, Charles Camberoque l'est aussi de natures mortes et de paysages qui possèdent la même vertu d'éclairer les modes de vie et de faire découvrir les qualités impliquées dans l'activité des hommes. Les outils d'un sandalier catalan rangés sur un banc parlent de précision et d'habileté manuelle. Les pommes soigneusement disposées sur le sol d'une cave aux murs chaulés, à Majorque, et les saubresades et bisbas suspendues au-dessus d'elles disent la prévoyance et la bonne économie domestique. Les vêtements placés sur des cintres dans la vitrine d'un tailleur de Barcelone suggèrent la patience et la fierté de l'ouvrage heureusement achevé. Les ex-voto en argent accumulés sur le mur d'une église de Palerme attestent la piété et l'espérance satisfaite. Les paysages qui retiennent l'attention de Charles Camberoque contiennent toujours des traces d'activité humaine. A Corfou des gradins installés au bord d'un lac et un grand cerceau incongrûment accroché à un fil tendu entre des arbres évoquent les plaisirs estivaux du théâtre en plein air. Dans le Péloponèse, devant un lac placide dans lequel se mire une montagne lointaine, des plaques de ciment laissent supposer une occupation passée du lieu dont on ne saura jamais la nature. A Thessalonique sur l'horizon marin vu d'une avenue qui longe la mer somnolent des bateaux attendant de pouvoir s'amarrer à quai qui témoignent de l'intense activité du port. La photograhie, au théâtre de Sète, d'un banc vide placé au pied d'un mur sous une pancarte sur laquelle se lit, en grandes majuscules, le mot SCENE devient le symbole de la démarche de Charles Camberoque qui ne photographie lieux, choses et situations que dans la mesure où elles témoignent d'une présence humaine passée, présente ou à venir. Photographe humaniste, ce qu'il voit dans son viseur est toujours une scène sur laquelle se joue un épisode de l'inachevable aventure humaine. Jean Arrouye « Charles Camberoque : Tradition et rites méditerranéens » Publié par : La Fondation Regards de Provence – Reflets de Méditerranée – Marseille Février 2004
0010 : Corfou 1992 0020 : La Grande Motte 2005 0030 : Jordanie 2003 0040 : Saloniki 1994 0050 : Jordanie 2003 0060 : Perachora Grèce 1991 0070 : Corfou Grèce 1992 0080 : Majorque 1988 0090 : Aveyron 0100 : Saint Guilhem 0110 : Les torchons 0120 : Aveyron 0130 : Courtauly 1983 0140 : Le portulan de Paul Pugnaud 0150 : Barcelone 0160 : Aveyron 0170 : Barcelone 0180 : Palerme Sicile 1993 0190 : Chrysanthèmes 0200 : La chambre froide Ferrals les Montagnes 1972 0210 : Baléares 0220 : Tomates et soubressades Majorque 1987 0230 : La cave de Joseph Delteil Tuilerie de Massane Grabels 0240 : Outils Catalogne 0250 : Théâtre de Sète 0260 : El Che, le joug, les nains, et le canari 0270 : La Scène… 0280 : « Le miroir a bu le mur » 0290 : Cefallu Sicile 1992 0300 : Catane Sicile 1992
Installations fortuites
Photographies publiées partiellement en Grèce dans Camera Obscura, supplément de la revue littéraire et photographique ENDEFKTIRIO
0010 : Finale France Italie Cournonterral 1999 0020 : Finale France Italie Cournonterral 1999 0030 : Finale France Italie Cournonterral 1999 0040 : Entraînement Cournonsec 1999 0050 : Finale France Italie Féminines Cournonterral 1997 0060 : Finale France Italie Cournonterral 1999 0070 : Entraînement Cournonsec 1999 0080 : Finale France Italie Cournonterral 1999 0090 : Entraînement Cournonsec 1999 0100 : Joueur Italien Italie France Cournonsec 1997 0110 : Joueur Italien Italie France Cournonsec 1997Le Jeu de balle au Tambourin
Par Max Rouquette
Des Baléares à la Chine, Charles Camberoque semble avoir axé son activité de photographe sur l’identité de l’homme du Sud. J’ai connu son père : un grand peintre de notoriété mondiale et qui vit à Carcassonne. Lui-même, j’eus l’occasion de le rencontrer la première fois lors d’un reportage qu’il fit sur une forme singulière d’un jeu qui en fait l’un des ancêtres presque préhistoriques des jeux de paume : « le Sautarel » (nom occitan dont l’équivalent français du Nord est répertorié par Rabelais dans Gargantua). Étrangement, encore vivant dans les villages de la moyenne vallée de l’Hérault, jusqu’à la dernière guerre, époque où il fut interdit sur les places des villages, pour des raisons de sécurité, par les municipalités. Charles Camberoque, qui a si admirablement photographié les redoutables « paillasses » de Cournonterral, issus d’un folklore moyenâgeux, et en ayant gardé la truculence au-delà même du fantastique rabelaisien, ou, encore, les célèbres Mallorquins des Baléares, ces extraordinaires lévriers qu’il a immortalisés dans leur vol au-dessus des hautes herbes. Et aussi, en Grèce, cette fois, les Anasténarias - dont il a pu écrire : « les Anasténarias ne sont pas uniquement cette danse (à pieds nus) sur les braises, qui attire les foules, mais une longue célébration profonde, grave, dont tous les actes comptent par leur grande signification symbolique ». Camberoque s’est attaché avec beaucoup de patience et de soins à fixer par l’image les phases de ce sport singulier. … …Charles Camberoque, qui avait déjà présenté les beautés du Tambourin, dans les gestes larges et puissants du lanceur de bâton au Jeu du Sautarel, nous fournit, aujourd’hui, une vision nouvelle de l’extraordinaire richesse des attitudes de notre sport, de leur beauté, aussi. Il manquait au Tambourin un véritable catalogue de ses pouvoirs et de ses aspects athlétiques. Nous l’avons aujourd’hui. Et il est signé, Dieu merci, Charles Camberoque. A lui aussi, bien sûr, un immense merci. Max Rouquette Extrait de la préface de Max Rouquette au livre de photographies de Charles Camberoque : Le Jeu de balle au Tambourin publié en 1998 par Bibliothèque 42.
Le Jeu de Balle au Tambourin
Photographies publiées dans : Le Jeu de Balle au Tambourin Editions Bibliothèque 42 Charles Camberoque : traditions et rites méditerranéens Editions Fondation Regard de Provence - Reflets de Méditerranée
0010 : Lever de Lune sur l’Océan Indien Île de La Réunion 2002 0020 : Le grenier bleu Montpellier 1978 0030 : La moustiquaire Zimbabwe 1998 0040 : San Pol de Mar Catalogne 1971 0050 : Chine 1981 0060 : Palma de Majorque Espagne 2006 0070 : Mozambique Afrique 1998 0080 : Direction Irak Jordanie 2003 0090 : Wadi Rom Jordanie 2003 0100 : Zimbabwe 1998 0110 : Jordanie 2003 0120 : Perachora Grèce 1991 0130 : Île de la Réunion 2003 0140 : Zimbabwe 1998 0150 : Rias Gallegas Espagne 1972 0160 : Can Miguel Majorque 1999 0170 : Chine 1981
Miniatures en couleur
Format 10/15 cm Impressions numérotées de 1 à 30, sur papier chiffon En vente auprès de l'auteur, pour le contacter, cliquez ici.
Du Zambèze à l’Hudson : à la mort, à la vie.
Pourquoi rassembler ainsi deux séries apparemment bien distinctes de mes photographies ? Tout d’abord parce qu’elles représentent deux sortes de rituels qui n’obéissent à aucune loi écrite et qui sont comme instinctifs et spontanés. Rituel de vie, rituel de mort: tous deux sont l’œuvre des hommes et chacun constitue une sorte de portrait de la civilisation dont il est l’émanation. Et puis, finalement, des riverains du Zambèze à ceux de l’Hudson, ces deux «peuplades» ne sont pas si éloignées que ça. Des ancêtres de ceux qui découpent l’éléphant sont des cousins de ceux qui créent ces ex-votos et les accrochent avec des gri-gri dans une rue de Manhattan! De plus coïncidence intéressante, l’éléphant est le symbole des Républicains Américains, le logo de leur parti reproduit sur tous les documents officiels, depuis leur site Internet jusqu’au courrier, cartes, drapeaux, casquettes et chemisettes, l’animal totémique de Georges Bush et de ses sbires. Pour que continue la vie : aujourd’hui l’éléphant Républicain doit être dépecé ! Depuis longtemps je photographie les hommes et leurs rites. Je suis toujours étonné par leurs coutumes et traditions de quelque sorte qu’elles soient, païennes ou sacrées : fêtes, carnaval, corrida, jeux, chasse… Parfois ces usages sont presque naturels, impulsifs et reviennent comme s’ils étaient inscrits dans l’inconscient des mémoires. J’aime alors, grâce à la photographie, les mettre en évidence et rendre gloire à la vie et l’innocence des hommes qui se livrent à ces rituels. L’éléphant En 1998, j’avais eu la chance de rencontrer au fin fond du Zimbabwe, dans un coin reculé du bush, un chasseur blanc qui venait de tuer un éléphant ! Comme c’est la coutume dans ce cas-là, les habitants du district sur lequel l’animal a été abattu ont l’opportunité de se partager l’éléphant. La carence en protéines étant importante, c’est alors la fête dans les villages du secteur. Et pourtant tuer un aussi merveilleux animal semble, vu depuis notre civilisation replète, comme un acte de barbarie ! Tuer Babar est ici un acte vital ! Et tout le monde se retrouve autour du corps de l’éléphant avec couteaux et scies. La découpe commence sous les ordres des anciens. Un protocole très précis est respecté. Ce suivi scrupuleux de la tradition impose que plusieurs morceaux reviennent à certaines personnes très précisément. Les défenses seront récupérées par le gouvernement… théoriquement. La patte dont le genou aura touché en premier le sol après le coup de feu fatal sera offerte au « médium-spirit », la trompe ira au chef, les oreilles aux Parcs nationaux… Le spectacle est incroyable, la rapidité du dépeçage étonnante. La viande rouge est magnifique et une odeur de boucherie emplit étrangement ce coin de brousse.Des enfants sucent déjà des petits morceaux, on piétine les tripes, on crie, on rit, on s’interpelle, la joie éclate autour de ces deux tonnes de viande miraculeuse. Les images des « fêtes du cochon » au village de mes grands parents me reviennent, nous nous retrouvions aussi avec les voisins et amis autour du porc et de ses 150 « petits » kilos de viande ! Mais là, en Afrique, je revis mes souvenirs autour de cet autre animal fantastique, et de ses deux tonnes de chair rouge ! Ground Zero Ma fille vivant en Amérique en 2001, j’ai été particulièrement touché par les attentats du 11 septembre. Sur un film qu’elle avait tourné, non loin de Ground Zero, j’avais remarqué une curieuse installation, presque totalement ignorée par les médias. J’avais été tellement intrigué que je n’ai eu de cesse d’aller à Manhattan, voir cela de mes propres yeux : À l’angle de Broadway avec Vesey street et tout autour de la clôture d’un petit édifice appelé Fulton St Bway, on pouvait découvrir un incroyable bric à brac de toutes sortes d’objets, d’inscriptions, de photos, de jouets, de vêtements et babioles…disposés là, hommage, souvenir de ceux qui ont disparu dans l’horrible attentat des twin towers. Des gens se recueillaient sur le trottoir devant cette sorte de monument éphémère et spontané. Cela était très émouvant. Et lorsque l’on examinait attentivement tout ce curieux mélange hétéroclite, lorsque l’on lisait ces textes, face à ces petits dons disposés comme des ex-voto, toujours dérisoires et naïfs, on ne pouvait que se sentir gagné à son tour par l’effroi. La gorge nouée j’ai pris plusieurs images en ressentant fortement la détresse de ce petit peuple Américain et le paradoxe de cet acte, presque enfantin en plein cœur de Manhattan, ce grand temple de la société capitaliste, elle aussi, tellement capable de broyer les individus ! À mon retour des Etats-unis, en voyant précisément ces quelques photographies j’ai pensé que j’avais fait là un portrait de l’Amérique bien plus fort qu’avec les centaines d’autres images que j’avais prises tout au cours de mon voyage dans ce pays. Rassembler ces deux séries d’images, c’est rapprocher deux actes politiques violents, profonds et chaotiques pour en faire une métaphore du drame New Yorkais. Car lui-même a été aseptisé par les médias qui l’ont traduit comme un film catastrophe mais politiquement correct. Il devait bien y avoir des tripes et du sang dans les décombres et sur les trottoirs ! J’espère que le choc de ce rapprochement photographique provoquera une sorte de rappel de toute la vraie violence de ce 11 septembre. Charles Camberoque 11 Septembre 2006.
Rituels : New York / Zimbabwe
Exposition présentée au 28e Festival Cinéma Méditerranéen Le Corum Montpellier 27 octobre-5 novembre 2006
LES PAILLASSES DE COURNONTERRAL
Par Jean Arrouye
L'activité des Paillasses de Cournonterral, village proche de Montpellier, proroge un rite de fécondité préchrétien qui s'est étonnamment maintenu malgré les efforts multicentenaires de l'Eglise pour l'éradiquer. Au printemps, en cette saison qui fut longtemps redoutée car, les années maigres, les réserves de vivres s'épuisent alors, tandis que la moisson se fera attendre encore de longs mois, il faut tenter d'exorciser la peur de la famine et relancer symboliquement le cycle annuel de la fécondité. C'est là le rôle des Paillasses. Leur troupe fut longtemps composée des jeunes gens célibataires du village. Au matin du jour fixé, qui maintenant est le mercredi des cendres, l'Eglise, faute de pouvoir supprimer le rite, ayant obligé que sa célébration coïncide avec une fête chrétienne où l'on évoque aussi la précarité de la condition humaine, ils revêtent de larges sacs qu'ils bourrent de paille – de là leur nom – et se métamorphosent ainsi en personnages grotesques, énormes et difformes. Ils se couvrent le visage d'un masque, qui, traditionnellement était fait d'une peau de blaireau, qui leur donne un aspect monstrueux et se couvrent la tête d'un couvre-chef, aujourd'hui le plus souvent un chapeau haut de forme, ce qui concourt à en faire des personnages grotesques hors du temps, sur lequel sont fixés des rameaux de buis et des plumes de dindon. Puis sur la place du village étaient déversés plusieurs tombereaux de fumier mêlé de purin (aujourd'hui remplacé par du moût de raisin, moins répugnant mais tout aussi puant et plus salissant), restes de ce qui a été consommé et engrais pour ce qui le sera, matière ignoble et pourtant précieuse, gage de la continuité de la vie. Alors commence la chasse des Paillasses qui se lancent à la recherche, autrefois des filles pubères pas encore mariées, vêtues de blanc, aujourd'hui de tous ceux, garçons et filles, qui veulent bien se prêter à ce qui n'est plus qu'un jeu, vêtus de leur plus vieilles défroques qui seront irrémédiablement souillées. Tous ceux que les Paillasses attrapent sont roulés dans le moût de raisin, embrennés des pieds à la tête, symboliquement foulés aux pieds et écrasés comme le sont le blé et le raisin pour donner la farine et le vin : acte propitiatoire, mime de la fécondation, sans cesse recommencé au cours de la journée, car les victimes, dès que relâchées, redeviennent des proies à saisir qui, d'ailleurs, consentantes, excitent leurs persécuteurs symboliques. Les symboles apparentés fleurissent en effet au cours de ces poursuites, captures et maltraitances (mal nécessaire pour un bien à venir) car les Paillasses sont tous des hommes et le camp opposé composé majoritairement de filles, de sorte que leur capture a l'apparence d'un rapt et leur maîtrise, quand, plaquées au sol, celui qui tente de les immobiliser les chevauche, figure un viol. Cette violence mimée, ces possessions feintes des filles, ce retour aux origines (homo est humus) des Paillasses et de leurs victimes qui se vautrent dans la fange, Charles Camberoque les a photographiées dans des images de scènes de rue qui en rendent admirablement la primitive fureur. Il a, de plus, mis en évidence ce que cet avilissement implique de jubilation et ce théâtre de la violence de défoulement cathartique dans des portraits, tour à tour attendrissants et inquiétants, de Paillasses qui, nous considérant, semblent nous prendre à témoin et nous saluer dans les mêmes termes, ou peu s'en faut, que Baudelaire son lecteur : Hypocrite spectateur, mon semblable, mon frère. Jean Arrouye Extrait du livre : Charles Camberoque : traditions et rites méditerranéens Publié à Marseille en 2004 par la Fondation Regards de Provence - Reflets de Méditerranée -
0010 : La course du blanc Cournonterral 1976 0020 : La grande rue Cournonterral 1984 0030 : Capture d’un blanc Cournonterral 1984 0040 : Les Paillasses Cournonterral 1976 0050 : Les Paillasses Cournonterral 1981 0060 : Les Escalettes Cournonterral 1976 0070 : Les Paillasses Cournonterral 1976 0080 : Les Paillasses Cournonterral 1976 0090 : Les Paillasses Cournonterral 1976 0100 : Les Paillasses Cournonterral 1976 0120 : Les Paillasses Cournonterral 1981 0130 : Les Paillasses Cournonterral 1976 0140 : Les Paillasses Cournonterral 1976Révélation d'une Fête
Par Robert Pujade
Dans le regard de Charles Camberoque, le carnaval de Cournonterral constitue une approche photographique de l'inhumain. Sous couvert de reportage, la photographie ne recueille pas seulement ici un folklore de masques et de déguisements, elle enregistre un camouflage esthétiquement inquiétant : celui d'une matière excrémentielle - de la lie de vin - recouvrant la forme humaine, jusqu'à la biffer. De ces personnages qui portent le nom de Paillasses, on se rend vite compte, en parcourant les images, qu'on n'en fait pas le portrait. L’œil du photographe part à la rencontre d'un repentir de la face humaine à peine exprimé à travers les taches de boue et le gribouillage de la paille. L'expérience photographique de Charles Camberoque se manifeste à nous comme une "connaissance du ravage" dont la méthode est d'avoir traqué, pour chaque image, des instants d'un genre bien particulier. Des instants de surface, tout d'abord, quand la superficie cadrée par l'objectif connaît, par la couleur, l'invasion symbolique du noir sur le blanc. A la sauvagerie des scènes photographiées, correspond la destruction de nos repères visuels : l'ombre des éclaboussures et les ratures végétales voilent profils et visages. Parmi les masses sombres, un sourire ou deux beaux yeux se détachent et nous ressaisissons dans ces petites clartés, l'être humain que nous avions perdu de vue. Des instants de vertige, instantanés indécis où la pantalonnade agressive dérive vers un conflit entre la matière et la forme. Les gestes aheurtés de la mascarade violente accentuent cette déconfiture des traits commencée par la couleur sale et envahissante. Dans les limites de chaque cadrage, on perçoit l'emprise d'un ordre détraqué sur l'allure coutumière d'un village et de ses occupants. L'acte photographique intervient, dans ce témoignage, chaque fois que la bagarre carnavalesque achemine l'état des lieux et des gens dans une voie de disparition. On dirait qu'une furie s'est abattue sur tout le visible de Cournonterral : les dieux de la fête sont tombés dans la fange, en souvenir de l'homme et de son lointain lignage. Quand des visages impressionnent la pellicule, c'est comme des natures mortes d'épouvantails. Il ne s'agit plus de visages, ni même de grimaces, mais du grimage apposé par la nature panique sur les signes convenus de la reconnaissance. La prise de vue de Charles Camberoque instruit cette démesure de la tradition de Cournon en y adjoignant quelques caractères des grandes dionysies antiques. Avec le culte du détail, elle ménage des lignes très nettes pour dessiner le rictus d'un martyre, l’œil pétillant d'une ménade ou le pourtour d'un pied de bouc. La panique et la liesse rassemblent toute leur puissance dans le savant dosage de drame que sait inspirer le "noir et blanc" du photographe. Avec sa grandiose irruption dans l'image argentique, ce carnaval nous rappelle cet autre nom de Dionysos, "la mort qui vient". Le linceul de guenilles et de boue déferle sur les hommes comme le révélateur d'une nature insoupçonnée et innommable. C'est peut-être pour cela que cette connaissance très extrême de la fête excentrique ne pouvait échoir qu'au bon génie des ombres, au seul photographe. Robert Pujade Catalogue du mois de la Photo de Thessalonique en Grèce : Photosynkyria 6th International Meeting 1993.
Paillasses
Photographies publiées dans :
La fête en Languedoc Editions Privat 1976/1990 (épuisé)
Les Paillasses Editions Verdier (épuisé)
Charles Camberoque Photographies 1975-1993
Editions Les Cahiers de la Photographie (épuisé)
Charles Camberoque : traditions et rites méditerranéens
Editions Fondation Regard de Provence - Reflets de Méditerranée
Chasses Méditerranéennes Les chiens de Camberoque
Par Jean Arrouye
Dans ses photographies animalières rapportées des îles Baléares Charles Camberoque court, si l'on ose dire, deux lièvres à la fois. D'une part il raconte une histoire de chasse à courre, de course aux lapins, avec des chiens superbes et valeureux, et décrit un rite social, divertissement préféré des insulaires qui ont, au fil des siècles, inventé cette race de chiens, instrument merveilleusement accordé à la satisfaction de leur plaisir. L'histoire est en cinq actes, comme il se doit pour toute aventure où la mort trouve place : le départ, le lâcher, la quête, la prise et le décompte des victimes avant le retour à la casa de départ. C'est une histoire d'hommes et de bêtes, de tendresse et de cruauté, la découverte éblouie de la beauté bondissante des lévriers mallorquins et de l'âpre harmonie du paysage méditerranéen. Charles Camberoque saisit avec sa sûreté habituelle l'allure spectaculaire de la course canine et les marques subtiles de la convivialité paysanne, la qualité de l'accord des hommes avec le pays qu'ils habitent, l'intensité de l'expérience vécue dont il est le témoin. Mais au sein même du récit de cette histoire, au moment de la quête du gibier et à l'occasion de sa prise, surviennent des images d'un autre ordre, celles des chiens tels qu'en eux-mêmes la chasse les révèle, dans leur quintessence de chiens de courre. Montrant les lévriers dans toute la vérité de leurs attitudes, ces images semblent de plus parvenir à donner forme sensible à ces notions abstraites que sont la légèreté ou l'énergie, à traduire visuellement ce qui n'est d'ordinaire qu'être de langage, l'élan, le bondissement, à figurer l'infigurable, la vélocité, la vitesse. Arrêtant l'événement au plus intense, au plus instable de son déroulement, la photographie devient alors l'art de faire coïncider exquisement l'accidentel et l'essentiel, la trace réelle du ça-a-été et l'image rêvée du cela-doit-être, la saisie de postures vraies et leur transfiguration poétique. Parce qu'il rend compte ainsi simultanément de l'apparaître et de l'être des choses, Charles Camberoque est un photographe méditerranéen. En effet, depuis qu'Homère fit descendre Ulysse aux enfers, cette chambre noire démesurée, pour y retrouver ses anciens compagnons et y découvrir le sens de l'existence, l'aventure de l'art, dans la tradition méditerranéenne, a toujours été indissociablement une aventure de la mémoire, représentation du sensible et du sens, figuration d'un intelligible. Nul ne fait mieux la preuve de la force de l'art fondé sur cette double postulation que Charles Camberoque avec ses Chiens mallorquins. Jean Arrouye. Catalogue de l’exposition présentée à la Primavera Fotografica de Barcelone, 1992.
Podencos Ibizencos
Photographies publiées dans : Ca Eivissenc : l'alternativa Miquel Elena Rossello et Charles Camberoque (épuisé) Els Mallorquins, Editions du Chiendent (épuisé) Charles Camberoque : traditions et rites méditerranéens Editions Fondation Regard de Provence - Reflets de Méditerranée
0011 : La Réunion 2001 0014 : Galerie Cardabelle Montpellier 2005 Photo Georges Souche 0020 : Fondation Juan Miro Barcelone 1980 0040 : avec Jean Arrouye La Réunion 2001 0110 : Ansaï Chine 1984 0111 : avec Sebastiao Salgado Le Port La Réunion 1988 Photo Philippe Dupuich 0113 : Galerie Gilles Caron Institut Français de Thessalonique Grèce 1993 Photo Nicolas Toulas 0140 : Carré Saint Anne Biennale Montpellier Photo-vision 1998 Photo Nina Camberoque 150 : avec Jean Dieuzaide et Daniel Fabre Galerie du Château d'eau Toulouse 1980 160 : Galerie du Château d'eau Toulouse 1980 BIBLIOGRAPHIEPhotographies
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